Education à la paix ou pacifisme ?

A propos de l'éducation à la paix, dans le supplément au numéro 7 de La lettre du Clerse 515 , consacré à l'éducation à la paix, Alain Mougniotte, questionne le propos ainsi : "l'idée d'une " éducation à la paix " peut-elle constituer une problématique éducative ?"

Comment pouvons-nous mettre en rapport les deux concepts d'éducation et de paix ? Si nous considérons l'éducation, celle-ci, implique l'éducabilité comme possible. Elle est de fait sous-tendue par la reconnaissance d'une imperfection originelle. L'éducation aura pour but : la transmission de valeurs jugées majeures dans une société donnée, la transmission de connaissances de référence partageables au sein de cette société et la mise en pratique d'une instrumentation répondant aux valeurs auxquelles on adhère.

En ce qui concerne la paix, d'un point de vue intellectuel, le concept de paix ne peut être approché qu'en considérant son contraire c'est-à-dire celui de guerre, ces deux concepts se pensent ensemble ; d'un point de vue moral, il s'agit de privilégier plutôt la paix que la guerre.

La paix issue d'un traité n'institue pas pour autant un état de paix entre les antagonistes, s'il demeure un espoir de la revanche. Si encore la paix est établie, mais nécessite une force d'interposition afin d'éviter des nouveaux affrontements. La vraie paix, repose sur l'adhésion individuelle et volontaire à des valeurs communément admises et juridiquement garanties ; adhésion elle-même concrétisée par des relations, interpersonnelles ou interétatiques, de coopération, de solidarité dans les domaines divers des activités humaines que sont les échanges culturels, industriels et commerciaux. Se pose alors la question suivante : ‘"’ ‘Un tel état de paix est-il susceptible d'être obtenu ou est-il une utopie ?’ ‘"’ ‘ 516 ’ ‘.’ Dans l'hypothèse du caractère utopique d'un tel état de paix, cela ne légitimerait pas d'abandonner toute recherche visant à l'atteindre.

Nous pouvons également nous interroger sur l'homme : n'est-il pas naturellement agressif et porté à la violence ? Son désir de puissance qui le pousse à exercer son pouvoir sur l'autre n'est plus à démontrer, en faisant toutefois remarquer qu'il ne faut sans doute pas faire la confusion entre ce qui est du domaine naturel et ce qui est du domaine culturel.

En conséquence, ne pouvons-nous pas dire du pacifisme qu'il comporte en son sein un désir de puissance tout aussi négatif que celui du bellicisme ? En effet, ‘"’ ‘le pacifisme est une négation absolue, ’ ‘un rejet total de la guerre, soit qu'il postule de considérer comme réalisable une mutation radicale dans les rapports entre les groupes sociaux, soit qu'il s'aveugle sur un fait généralisé’ ‘"’ ‘ 517 ’ ‘.’

L'éducation de manière générale est bien légitimée par le constat de l'imperfection de l'homme, que l'on tendra à réduire sans l'épuiser pour autant. Si l'homme était parfait et bon, il n'y aurait pas besoin de l'éduquer. Or, la réalité nous le montre comme capable du pire comme du meilleur, changeant et polymorphe. Mais néanmoins, il penchera d'un côté ou de l'autre selon les circonstances que la vie lui imposera ou selon ce que l'éducation fera de lui.

C'est la raison pour laquelle l'éducation "est à la fois indispensable et aléatoire", mais "l'éducation ne " produira " jamais un homme pacifique, à la manière dont un procédé de fabrication " produit " un objet dont les caractéristiques sont intangibles"518.

Cependant, les échecs du passé en ce domaine n'autorisent pas à conclure à l'inutilité de cette recherche. Il est possible d'imaginer, la guerre n'est pas totale, que le désir de paix est plus profondément inscrit en l'homme que les pulsions qui le conduisent à faire la guerre.

La paix ne se limite pas uniquement à faire preuve de bonne volonté, son éducation nécessite sans doute aussi d'apprendre à exercer la volonté pour tendre à supprimer ce qui risque de la compromettre. C'est peut être également apprendre à résister à la violence plutôt que de se laisser aller à la peur et au fatalisme.

Une telle éducation implique la recherche d'un esprit de justice, du respect de l'autre, au plan individuel et collectif, du respect des cultures différentes, et également de se prémunir contre le dogmatisme et l'arbitraire.

Eduquer à la paix au sein de l'école est de fait indispensable mais limité, l'école n'est pas la vie. Cependant, le rôle de l'école est aussi de favoriser l'exercice de la capacité de juger, Célestin Freinet l'avait compris quand il souhaitait former un être libre et responsable.

Notes
515.

- Centre Lyonnais d'Etude et de Recherche en Sciences de l'Education, février 1991, octobre 1992 pour la 4e édition. Article de A. Mougniotte, pp. 20-22.

516.

- MOUGNIOTTE, (A.), Op. Cit.

517.

- Article paix, Encyclopédie Universalis, 1995.

518.

- MOUGNIOTTE (A.), Op. Cit.