L'humanité comme communauté authentique pour Maria Montessori

En ce qui concerne Maria Montessori, il n'y a pas similitude avec l'approche communautaire, que nous venons de faire pour les objectifs de Freinet. Nous avons vu que la notion de travail se situait pour elle dans un tout autre registre. Pour la pédagogue italienne il est avant tout indispensable de faire émerger un homme "normal", selon ses propres termes.

Le rêve communautaire se situe en aval et non plus en amont comme nous le constatons chez Célestin Freinet. Si une communauté se constitue elle sera la conséquence d'un lent travail de gestation qui devra acheminer l'humanité vers une société pacifiée. Tous les dysfonctionnements que l'on peut constater dans les manifestations des actions et rapports humains s'estomperont.

Pour Maria Montessori, ‘"’ ‘la production de l'homme doit être orientée vers un but... la civilisation, ou, en d'autres mots, la création d'une supernature, œuvre de l'humanité !’ ‘"’ Et, c'est de façon consciente que l'homme doit se rendre ‘"’ ‘maître du monde extérieur et des événements humains’ ‘"’ ‘ 685 ’.

On ne peut donc pas parler de projet communautaire au sens où nous avons pu le faire en ce qui concerne Célestin Freinet.

Cependant, dans le prolongement de la méthode que Maria Montessori met progressivement en place, particulièrement avec la formation des maîtresses686, il se dessine une structure d'allure communautaire d'un type que nous pourrions qualifier de matriarcale. En effet, la doctoresse italienne établit de manière très stricte et procédurale l'institution de la "maîtresse Montessori". Elle délivre elle-même l'agrément d'exercice de la fonction, de même qu'elle valide le label "Ecole Montessori" au bénéfice d'une structure, si celle-ci répond aux critères qu'elle a elle-même fixés.

Au delà de cet aspect intérieur au mouvement des écoles montessoriennes, qui voit sa reconnaissance et sa fixation avec la création de l'A.M.I. (Association Montessori Internationale), Maria Montessori, même si elle n'emploie pas les termes de communauté ou communautaire, les termes de ces propos laissent augurer de la formation de l'homme dans le sens d'une communauté nouvelle à créer puis construire.

Dans l'introduction de son ouvrage L'éducation et la paix, elle déclare: ‘"’ ‘s'il est bien vrai que la personne humaine peut progresser et que la société peut être fondée sur des principes de justice et d'amour, nous savons bien... que ces objectifs ne sont pas une réalité à notre portée, mais relèvent plutôt d'une aspiration dont l'accomplissement ne peut se situer que dans un avenir plus ou moins ’ ‘éloigné’ ‘"’ ‘ 687 ’. Considérant le problème de la paix, elle poursuit par le constat selon lequel, ‘"’ ‘la société humaine n'a pas encore mis en place la forme d'organisation qui lui est nécessaire pour faire face aux besoins actuels’ ‘"’ ‘ 688 ’ ‘.’

Pour Maria Montessori, c'est l'ensemble du monde qui doit, à terme, présenter un état pacifié, et, il est de fait évident à ses yeux, qu'une nouvelle forme d'organisation doit voir le jour, même si elle laisse à entendre que la tâche lui semble démesurée.

Elle fait en effet remarquer que ‘"’ ‘l'humanité doit s'organiser pour atteindre un but extraordinairement difficile : la coopération universelle nécessaire pour la poursuite du progrès’ ‘"’. Entendons ici le progrès de l'humain en société, car, si les progrès de la science et des techniques ne font aucun doute, il n'en va pas de même en ce qui concerne l'homme dans ses rapports avec ses semblables. En conséquence ‘"’ ‘une nouvelle forme de morale doit accompagner cette nouvelle forme de civilisation... tout acte qui fait obstacle à la transformation de toute l'humanité en une communauté authentique doit être considéré comme immoral...’ ‘"’ ‘ 689 ’ ‘.’

Si l'on souhaite effectivement parvenir à un tel résultat, il faut que les hommes cessent de se comporter "comme des groupes nationaux", et, Maria Montessori de constater que ‘"’ ‘nous sommes devenus un organisme unique, une seule nation... l'humanité en tant qu'organisme est née, [elle réalise, et cela de manière inconsciente] l'aspiration spirituelle et religieuse de l'âme humaine’ ‘"’ ‘ 690 ’ ‘.’

Maria Montessori, poussant plus avant son raisonnement, considère que l'homme est ainsi devenu ‘"’ ‘un citoyen du monde, un citoyen de cette grande nation qu'est l'humanité’ ‘"’ ‘ 691 ’ ; que ‘"’ ‘toute l'humanité partage aujourd'hui une même fonction... un intérêt unique [rassemble les hommes] et les fait fonctionner comme un seul organisme vivant’ ‘"’ ‘ 692 ’ ‘.’

Quand la pédagogue affirme que ‘"’ ‘des nations distinctes, ayant leurs frontières, leurs douanes, leurs droits exclusifs n'ont plus de raison d'être’ ‘"’ ‘ 693 ’ ‘, ’nous pouvons constater qu'elle tient ici des propos identiques à ceux, qu'au XVIe siècle déjà, Erasme de Rotterdam développait dans son rêve d'une unité d'une Europe chrétienne.

En ce domaine le rôle que doit tenir l'éducation est majeur ; cependant, Maria Montessori déplore précisément qu'au delà de toute éducation ‘"’ ‘hélas, la personnalité humaine est demeurée ce qu'elle était dans le passé. [et que] au niveau de sa mentalité, l'homme n'a pas changé’ ‘"’ ‘ 694 ’ ‘.’

Afin d'expliciter plus avant les conceptions de la pédagogue italienne, il nous faut bien saisir que pour elle, tous les hommes font partie, à la fois, d'une communauté de fait : qui est de caractéristique biologique, et, également d'une communauté spirituelle : "tous les hommes sont frères"695.

Mais, ils ont perdu cette approche de leur réalité profonde, il leur faut donc la retrouver et, pour ce faire, une prise de conscience est nécessaire et assure à la ‘"’ ‘personnalité individuelle de s'étendre jusqu'à ce qu'elle retrouve le contact avec les autres’ ‘"’ ‘ 696 ’ ‘.’

Cette action doit être poursuivie dans le seul but de créer ‘"’ ‘une nation unique et un être humain meilleur : ce sont là, nous dit Maria Montessori, les deux grandes réalités d'aujourd'hui. Le nouvel être humain doit nous montrer comment rendre l'ensemble de l'humanité consciente de son unité’ ‘"’. Elle projette ses espoirs et, selon nous, anticipe quelque peu quand elle affirme que "l'humanité nouvelle édifiant un monde nouveau est déjà là !" S'il existe "une communauté d'intérêts" entre les hommes, c'est grâce aux progrès scientifiques, qui ont pour conséquences que ‘"’ ‘les intérêts de l'humanité se sont unifiés, [mais parallèlement] des brèches énormes se creusaient dans le psychisme de l'homme’ ‘"’ ‘ 697 ’ ‘.’

Au terme de ce parcours, nous pouvons constater que, tant pour Célestin Freinet que pour Maria Montessori nourris du contexte socio-historico-politique de leur époque, caractéristique et conséquent du vaste mouvement de l'Education nouvelle, une certaine quête d'un universalisme, d'obédience matérialiste chez Célestin Freinet ou spirituelle et religieux chez Maria Montessori, se profilait comme étant de nature communautaire où l'homme serait en quelque sorte magnifié.

Notes
685.

- MONTESSORI, (M.), L'éducation et la paix, Paris, DDB, 1996. 154 p. p.22.

686.

- Cf. notre sous chapitre : La science, support d'une révolution

687.

- MONTESSORI, (M.), L'éducation et la paix, op. Cit. p. 19.

688.

- Ibid. Il faut, par ailleurs, avoir à l'esprit, considérant les propos de l'auteur, qu'il s'agit d'une compilation des textes de ses conférences, qu'elle donne à Genève, Bruxelles, Copenhague, Amersfoort et Londres, entre 1932 et 1939.

689.

- MONTESSORI, (M.), L'éducation et la paix, op. Cit. p. 21.

690.

- MONTESSORI, (M.), L'éducation et la paix, op. Cit. p. 48. Propos qui sont repris lors d'une autre conférence, cf. p. 133.

691.

- MONTESSORI, (M.), L'éducation et la paix, op. Cit. p. 49.

692.

- Ibid. p. 132.

693.

- Ibid. p. 49.

694.

- Ibid. p. 50.

695.

- Ibid. p. 71.

696.

- Ibid. p. 72.

697.

- Ibid. pp. 93-94.