Le conflit : une loi de la vie

D'un point de vue anthropologique et biologique, Odette Thibault indique que vouloir supprimer le conflit est l’apanage de la guerre qui vise en fait la suppression pure et simple de l’adversaire, alors que ‘“’ ‘le conflit est une notion biologique, c’est la loi de la vie, depuis la cellule jusqu’à la société... c'est ainsi que se font les équilibres : une rétroaction vient répondre à une action pour corriger cette action en vue d’un ajustement de l’équilibre”’ ; alors que la guerre est la loi de la mort.

Il y a des systèmes qui s'opposent à l'action pour maintenir leur équilibre, ils sont en équilibre statique, tel par exemple le maintien de la température du corps, équilibre indispensable à la vie pour un organisme vivant, dans ce cas on parle de rétroaction négative.

Il y a également la rétroaction positive qui cette fois va opérer un déplacement de l'équilibre pour une meilleure adaptation, il y a dans ce cas une interaction interne-externe entre deux systèmes.

Le conflit procède de ces deux types de fonctionnement ce qui permet, lorsqu'il n'y a pas destruction d'un des deux pôles, l'émergence d'éléments nouveaux qui font progresser l'ensemble.

En effet, la guerre vise à supprimer une situation ou une population pour établir un nouvel ordre exclusif ou à rendre disponibles de nouveaux territoires pour les vainqueurs au détriment des vaincus. Dans ses rapports aux autres, l’homme doit, s'il ne veut pas que le différend dégénère en violence, développer sa capacité ‘“’ ‘dialectique du conflit qui s’appelle plus simplement dialogue”’ ‘ 772 ’ ‘.’

Le conflit, qui se développe lorsqu'il y a déséquilibre entre les composantes contraires, se positionne comme méta-notion, il semble devoir motiver la nécessité d'un apprentissage qui consiste à ‘"’ ‘faire la place à celui qui vient (à l'autre) et lui offrir les moyens de l'occuper’ ‘"’ ‘ 773 ’ ‘.’ Faute de ce couple espace-temps consciemment ménagé en vue d'un partage, c'est l'inflation de la violence, d'abord contenue, qui déclenche l'engagement des hostilités, car dans les cas extrêmes ‘"’ ‘seule la violence permet encore, quand on n'a ni espace, ni références, de se tenir debout sur terre ; elle permet de se projeter dans un futur, d'exister au moins aux yeux de celui que l'on chasse’ ‘"’ ‘ 774 ’.

Cependant, un autre problème vient à émergence. Si tant est qu'un espace et un temps soient ménagés dès la naissance d'un conflit, instant précédent le débordement violent, ces disponibilités spatio-temporelles se doivent de plus d'être investies par la parole. Cette parole qui va favoriser l'échange, la communication et permettra peut-être de faire apparaître un autre type conflit, comme le conflit sociocognitif par exemple. Or, dans le cas où les êtres en présence ne disposent pas des "armes linguistiques" adéquates, outils de médiation, l'issue du conflit, comme dépassement de la violence est fortement compromis. Cette "insécurité linguistique", ainsi nommée par Alain Bentolila, interdit toute négociation avec l'autre775. C'est sans doute dans cette situation plus que dans toute autre que l'inclusion du tiers au sein de cette dualité se révèle positive, à la condition, certes indispensable, que les deux protagonistes soient au minimum en accord sur ce point.

Ce tiers inclus peut assurer dans ce cas la médiatisation qui peut tempérer les passions en requalifiant, en recentrant, le conflit sur son objet propre avec des mots partagés ; sinon, dans la simple dualité, il apparaît souvent que les passions l'emportent et le véritable objet générateur du litige se trouve rapidement extériorisé au point qu'il soit perdu de vue.

Notes
772.

- Du bon usage des conflits, in La colombe et l’encrier. Colloque pour une pédagogie de la paix. Sous la Direction de Nicole Bernard et Danielle Le Bricquir. Paris, Syros, 1983. pp. 41-44.

773.

- MEIRIEU (Ph.), Frankenstein pédagogue, Paris, ESF, 1996. 123 p. p. 73.

774.

- Ibid. p. 74.

775.

- BENTOLILA (A.), Le verbe pour soulever le monde, in Les entretiens Nathan , 14 et 15 novembre 1998. Source : http://www.entretiensnathan.com.