Pédagogie et conflit

Chez Célestin Freinet

Pour Célestin Freinet, la paix est présentée comme négation absolue de la guerre. Les deux termes se révèlent à nous comme contradictoires et non pas comme contraires, ainsi que nous l'avons présenté. Pour le pédagogue, la guerre doit, à terme, être éradiquée et remplacée par un état de paix entre les êtres humains et entre les nations, même s'il considère que cette tâche ne se fera pas sans heurts, ni sans tenir compte de la durée.

Or, ainsi que nous l'avons développé, les deux termes de paix et guerre ne semblent pas devoir s'exclure l'un l'autre, mais représenter un couple "réel/vrai". Pour faciliter le développement de notre pensée, il nous semble pertinent d'emprunter à Joseph Courtés le schéma sémiotique qu'il développe à propos de l'analyse du discours833.

(figure 1)
(figure 1)

En rapport à notre développement précédent, nous positionnons le couple : paix(1)/guerre(2) : (figure 1), comme "vrai", c'est-à-dire comme méta‑terme représentatif du système axiologique conforme au vrai que nous déterminons encore comme "bien". Il s'agit d'une jonction positive c'est-à-dire une conjonction. En ce qui concerne la représentation graphique nous établissons la convention suivante : le terme non surmonté d'une barre correspond à la proposition positive, "paix" en (1) par exemple et, le terme surmonté d'une barre, la négation de la proposition, par exemple "Paix" en (3) qui se lit "non-paix".

Si, maintenant nous représentons, selon le même schéma les éléments du discours de Célestin Freinet sur la paix nous obtenons la représentation suivante :

(figure 2)
(figure 2)

Le couple défini comme représentatif du système axiologique est cette fois le couple : paix (1)/non-guerre(2), (figure 2). C'est la conformité à la pensée de Célestin Freinet relativement aux deux termes, paix et guerre. Cependant, il ne faut pas en conclure, eu égard à ce qui précède, que paix et non-guerre seraient équivalents. Nous avons montré qu'une situation de non-guerre n'était pas pour autant la paix.

Dans le système axiologique ainsi mis en exergue, le vrai, déterminé comme bien, correspond à l'espace et au temps lié à la fonction même de l'éducateur qui place le terme de la paix couplé à la non-guerre en relation de jonction positive, de conjonction, voire même d'identité. En effet, cette situation est renforcée par le couple : guerre (4) / non-paix (3). Il en découle que la guerre est niée par le terme de paix. Le couple paix et guerre se trouve dans cette configuration, placé dans la zone du non considéré, du secret ou encore de l'insensé.

Ce que nous positionnons dans le domaine du "vrai", le conflit, de la figure 1, passe dans la figure 2, dans le domaine du "secret", de l'impensable. Du point de vue de l'école, le "vrai", que nous définissions comme le conflit, (fig. 1), conjuguant les deux termes complémentaires de paix / guerre, favorise l'autonomisation des enfants. Or, l'action pédagogique et son instrumentation, dans le cas de la figure 2, vont faire en sorte que le couple paix et non-guerre soit le modèle d'intelligibilité porteur du sens que lui donne le maître.

Inversement, le couple paix et guerre est du domaine du "secret", il est, ainsi que les autres couples, antagoniste au système de pensée du pédagogue. Il en découle que la pédagogie afférente orientera de facto vers une organisation conduisant au couple "vrai" et ce, d'une part par rapport à l'espace et d'autre part en relation au temps. Dans un autre cas, si un enfant se situe dans l'une des autres positions, la pédagogie mise en œuvre lui fera suivre le parcours qui le ramènera à la conception vraie : paix et non-guerre.

Ainsi, par exemple un enfant apathique, qui précisément ne se situe ni dans la paix, ni dans la guerre sera stimulé par les activités pédagogiques proposées, comme par exemple lors des conseils où des décisions sont demandées, afin que le temps et l'émulation aidant, il se place dans une relation de paix tout en étant sans guerre ; ainsi le conflit n'a pas lieu d'être.

A l'opposé, l'enfant belliqueux, sera peut être contraint de transiter par la conjugaison guerre/paix, dans la zone du "secret" et grâce aux exercices pédagogiques proposés, une prise de position par exemple dans un groupe de travail, pour arriver en fin de parcours dans la logique paix et non-guerre. Il se peut encore que le parcours fasse passer l'enfant par le couple non-paix et non-guerre, situation qui correspondrait à un état d'apaisement, pour ensuite en arriver à la finalité pédagogique qui demeure, c'est-à-dire de faire des hommes de paix sans la guerre.

Notes
833.

- COURTES (J.), Analyse sémiotique du discours, de l'énoncé à l'énonciation, Paris Hachette, 1991.