Une approche actuelle du conflit

Selon une étude récente860, ‘"’ ‘si dans les différentes situations d'enseignement la négociation est omniprésente et acceptée, elle n'est pas souhaitée par les professeurs lors de situations conflictuelles qui les opposent à leurs élèves’ ‘"’ ‘ 861 ’ ‘.’ Il y a dans la classe des règles, explicites ou implicites, qui sont garantes de l'ordre assurant un fonctionnement linéaire sans heurts majeurs.

Précisément, lorsque ces règles présentent un caractère implicite, leur remise en cause peut fort bien être de mise, et les élèves vont s'engouffrer dans cette brèche et rechercher la négociation. Or, négocier sur le plan de la discipline contraint de facto le professeur à envisager un nouveau type de relations qui induit une situation d'enseignement nouvelle également.

C'est sans doute là que la pédagogie de type institutionnel peut jouer son rôle, nonobstant le fait qu'il existe un domaine négociable, il demeure un champ, qui quant à lui, ne l'est pas, tel par exemple le respect dû de manière bilatérale aux personnes en présence : enfants ou adolescents et adultes ainsi confrontés.

Traditionnellement, en cas de conflit entre un enseignant et un élève qui perturbe le bon fonctionnement de la classe, l'issue la plus fréquente est référée au statut autoritaire de l'enseignant, que lui confère sa fonction.

Or, ‘"’ ‘la sévérité des professeurs traduit leur volonté de ne pas perdre la face au regard des autres élèves de la classe’ ‘"’ ‘ 862 ’ ‘.’

En d'autres termes : en cas de conflit opposant un professeur à un élève, c'est le statut du premier qui est en jeu face au groupe classe, dans l'immédiat d'une part, mais également face aux actions ‘"’ ‘préventives vis à vis des indisciplines futures’ ‘"’ d'autre part. Du point de vue éducatif, nous savons, ainsi que le rappellent les auteurs, que ‘"’ ‘pour être efficace, une sanction doit être acceptée, c'est-à-dire comprise non seulement par l'élève incriminé mais également par ses pairs’ ‘"’ ‘ 863 ’ ‘.’

Nous voyons ici précisément le lieu et le temps où peut se positionner une phase possible d'institution, à savoir : faire la loi ensemble, afin qu'elle soit respectable et respectée par tous les protagonistes, élèves et professeur. C'est faire en sorte ‘"’ ‘que les élèves découvrent que la liberté de chacun commence avec celle des autres’ ‘"’, et non pas que la liberté de l'un s'arrête où commence celle de l'autre, selon la maxime fort répandue, qui ‘"’ ‘si tel était le cas [il s’avérerait] que nous serions en guerre perpétuelle, puisqu'un être humain ne grandit qu'à s'affirmer progressivement, accroître ses pouvoirs et ses libertés’ ‘"’ ‘ 864 ’ ‘.’

Dès lors, nous sommes en droit de penser que le conflit est une occasion de progresser au plan du civisme, ce serait le moment de réactualiser ‘"’ ‘les règles fondamentales, d'en (ré) actualiser d'autres et d'en établir de nouvelles’ ‘"’ ‘ 865 ’. Dès lors, il y a glissement d'une situation purement réglementaire, qui ne supporte pas la négociation, vers une situation contractuelle qui concerne des points spécifiques de fonctionnement.

Ainsi, afin d'éviter de répondre à la violence par une autre forme de violence qui n'apporte pas de solution satisfaisante quant au bon fonctionnement de la classe, ni au plan collectif ni au plan individuel vis à vis de l'élève impliqué ; il peut être salutaire d'éviter une sanction prise dans l'urgence de la situation conflictuelle, donc de la différer, tout de même que d'adapter son intensité et d'éviter une personnalisation du conflit qui occulte son possible dénouement sous des enjeux psychologiques.

De ce qui précède, nous pouvons faire le constat que l'approche institutionnelle prolonge de manière significative les pédagogies de Célestin Freinet tout de même que celle de Maria Montessori. Pour celle-ci, ce qui la caractériserait, ce serait le puérocentrisme où l'enfant agit selon ses intérêts, ses besoins ; il est respecté dans sa spontanéité, mais qu'en est-il du point de vue de sa construction identitaire ? Bien que cette pédagogie favorise l'affirmation de l'identité, n'est-elle pas faussée en la référant de manière insuffisante ‘"’ ‘à la place du sujet dans son milieu et son histoire’ ‘"’ ‘ 866 ’ ‘.’

En ce qui concerne la pédagogie de Célestin Freinet, G. Lapassade, en regard de celle-ci, qualifie l'enfant de ‘"’ ‘sujet intégré, dont l'identité est subjuguée... la spontanéité enfantine trouve un cadre institutionnel qui l'intègre, mais, ajoute-t-il, la coopérative ne favorise-t-elle pas le conformisme à l'institution ? Culpabilisant la déviance au nom de la coopérative prise comme valeur référentielle, ne met-elle pas à l'abri des critiques fondamentales une institution qui représente un cadre parmi d'autres ?’ ‘"’ ‘ 867 ’.

En définitive, il conviendrait selon Lapassade, de favoriser l'émergence d'un "sujet libéré" qui présenterait une identité authentique, pour lequel cette identité serait le produit "de la tendance à l'expression du moi"868. L'élève : "sujet libéré" témoignerait ainsi de congruence, c'est-à-dire qu'il serait "transparent et cohérent avec lui-même" et ceci grâce à une action non-directive cependant qu'incitatrice, laquelle en l'occurrence ne signifie pas "influence nulle", du fait même des interactions qui procèdent de cette production. Cela induit la question qui est de savoir ‘"’ ‘si la construction de l'identité d'un élève sera la même pour tel ou tel éducateur ?’ ‘"’ ‘ 869 ’ ‘.’

A l'école, la réalité institutionnelle qui pourrait être ainsi créée se démarque de manière radicale de ce que représente le conflit dans son contexte social, lequel, dans ce cas, débouche dans sa résolution en l'application soit de la bonne volonté au mieux ; mais ce cas de figure ne permet sans doute pas de rétablir l'état de satisfaction des parties opposées, antérieur au conflit ; ou bien, en cas d'impossibilité de solution concertée, l'issue est d'ordre juridique par l'application d'un code qui tranche légalement, mais qui crée aussi du ressentiment, car trop souvent général et ne s'appliquant pas spécifiquement aux cas particuliers.

Quand, par contre, lors d'un conflit, la parole instituée permet de remplacer sa résolution insatisfaisante, qui serait celle des coups870, cette parole permet de réduire l'intensité de la tension explosive qui risque de déborder en violence, tant verbale que physique, elle en assure la médiation nécessaire. Ensuite, ce pas étant franchi, elle offre la possibilité d'instituer le silence comme temps réactif, comme suite à l'agressivité verbale, assurant un prolongement dans le temps vers une résolution positive.

Notes
860.

- Les préoccupations des professeurs d'éducation physique lors de la genèse et la régulation des conflits en classe, collectif, in Revue Française de Pédagogie, N° 139, avril, mai, juin 2002. pp. 107-119.

861.

- Ibid. p. 108.

862.

- Ibid. p. 116.

863.

- Ibid.

864.

- DEFRANCE, (B.), Apprendre que la loi est perfectible, in Education à la citoyenneté, Paris, Magnard, 1996. p. 29.

865.

- DEFRANCE, (B.), Op. Cit. p. 117.

866.

- LAPASSADE, Op. Cit. p. 55.

867.

- Ibid.

868.

- Ibid.

869.

- Ibid. p. 56.

870.

- Cf. OURY, (F.) & VASQUEZ, (A.), Vers une pédagogie institutionnelle, Paris, Maspéro, 1967. pp. 81-101.