1.2.3 - Le temps chez les Hopi, selon Whorf

Whorf part de la thèse, par excellence déterministe, que les concepts de ‘«’ ‘ temps » ’et de ‘«’ ‘ matière » ’ne sont pas, dans leur essence, exprimés de la même manière pour tous les hommes, mais dépendent de la nature de la ou des langue(s) qui ont présidé à leur élaboration (Ibid., 117).

Après une analyse, malheureusement très superficielle du hopi, Whorf a conclu que cette langue ne contient aucun mot ou construction grammaticale qui réfère au temps, au passé, au futur ou à la durée. Selon Whorf, les Hopis n’avaient aucune intuition du temps comme un courant continu, issu d’un passé et dirigé vers l’avenir. Les Hopis considéraient le temps non pas comme un déplacement mais comme le passage perpétuel de toute chose créée à un stade ultérieur, une répétition. Lorsqu’ils parlaient d’un événement, ils ne le situaient pas sur l’axe temporel, mais se contentaient de le marquer comme une chose connue, mythique ou distante.

De plus, l’anthropologue stipulait que pour eux le temps tel que nous, locuteurs de langues indo-européennes, le comprenons, n’existe pas :

‘« Pour le Hopi, le temps disparaît et l’espace est altéré, si bien que qu’il n’y a plus l’espace atemporel homogène et immédiat de notre soi-disant intuition ou de la mécanique newtonienne classique. » (Ibid., 7. Nous traduisons)’

Dans la même veine, Whorf observait qu’il n’est pas du tout surprenant que, pour les Hopis, les unités temporelles comme les jours ou les mois ne représentent pas des entités comptables, qu’ils ne s’intéressent pas aux dates et ne connaissent pas de calendrier.

Un fait important est que, dans le même livre, Whorf parle de la relation entre la représentation du temps et la représentation de l’espace. Pour les langues indo-européennes, il part de l’hypothèse que la représentation du temps est basée sur des métaphores spatiales :

‘« L’espace tel que nous nous le représentons a également la propriété de servir de substitut aux systèmes des relations comme le temps, l’intensité ou la tendance. Il est en outre considéré comme un « réceptacle » destiné à recevoir des éléments imaginaires sans forme définie (l’un des ceux-ci peut même être appelé espace). » (Ibid., 119. Nous traduisons)’

Cependant, il n’en est pas de même en hopi où l’espace ne serait pas relié mentalement à de tels substituts : il s’agit, d’après Whorf, d’un espace relativement ‘«’ ‘ pur »’, d’où toute notion étrangère serait exclue.

‘« Notre propre « temps » diffère notablement de la « durée » Hopi. Il est conçu comme un espace aux dimensions strictement limitées, ou parfois comme un mouvement au sein de cet espace et l’usage intellectuel que nous nous en faisons correspond à cette conception. Il semble qu’en hopi on ne puisse concevoir la notion de durée en termes d’espace ou de mouvement, car elle est le mode par lequel la vie diffère de la forme et la conscience in toto des éléments spatiaux de la conscience. » (Ibid., 117. Nous traduisons.)’

Il s’ensuit que, pour les déterministes, l’hypothèse du localisme 2 dont nous parlerons largement dans cette thèse est valable seulement pour les langues indo-européennes, mais n’est pas universelle pour toutes les langues du monde. Cependant, explique Whorf, en ce qui concerne l’espace, il y a très peu de différence entre les langues. Il en conclut que l’appréhension de l’espace est essentiellement une donnée de l’expérience indépendante de la langue.

Notes
2.

Selon cette hypothèse, les expressions spatiales sont sémantiquement et grammaticalement fondamentales. En d’autres termes, les expressions non-spatiales sont dérivées des mots servant à décrire l’espace et les relations des objets dans l’espace (Lyons, 1977, 718).