1.7 - Choix de la perspective comparative ; choix des langues et remarques sur ces langues

1.7.1 - Pour une perspective comparative

Comme nous l’avons indiqué dans l’introduction, nous partons dans cette thèse de données linguistiques pour confirmer l’hypothèse que la représentation du temps est fondée sur la représentation de l’espace. Les nombreux usages non-standard des prépositions, à savoir les usages temporels des prépositions spatiales et les usages spatiaux des prépositions temporelles, suggèrent qu’il y a une relation très profonde entre la sémantique du temps et de l’espace. Nous soutiendrons, dans cette thèse, l’idée selon laquelle cette relation est la conséquence (et non la cause) de leur proximité conceptuelle.

Dans notre travail nous partons des données linguistiques du français tirées des corpus électroniques SILFIDE et GALLICA, pour les confronter dans un deuxième temps avec les données linguistiques des autres langues. Bien que le français offre un bon nombre d’exemples d’usages non-standard des prépositions, nous avons considéré que l’analyse d’une seule langue ne suffit pas. Au contraire, le choix de la perspective comparative nous semble nécessaire pour plusieurs raisons. Tout d’abord, une première enquête a déjà montré que les langues appartenant à d’autres groupes ou familles (non-indo-européennes) fournissent d’autres types d’exemples (parfois tout à fait fascinants et inattendus), de la proximité linguistique entre le temps et l’espace. De plus, étant donné qu’un de nos buts est de contester l’hypothèse Sapir-Whorf, le seul moyen d’y arriver est de travailler sur des langues typologiquement très éloignées en cherchant des analogies sémantiques ou de prouver que les différences linguistiques ne sont pas des conséquences des différences dans la conceptualisation du temps et de l’espace. Finalement, cette thèse a aussi une dimension purement linguistique : nous nous proposons de décrire et d’étudier les systèmes de prépositions spatio-temporelles de langues qui jusqu’à présent n’ont pas connu beaucoup d’analyses sémantiques et pragmatiques (notamment du swahili, du kikuyu et du louo).

Le choix des langues s’est fait selon deux critères :

  • Ne pas nous borner aux langues indo-européennes, c’est-à-dire travailler sur des langues provenant de familles différentes.
  • Choisir des langues pour lesquelles nous avons des informateurs qui en sont des locuteurs natifs et qui en plus ont un très bon niveau de français.

Le résultat de notre choix est le suivant : parmi les langues indo-européennes nous avons pris le serbe (langue slave de sud, notre langue maternelle sur laquelle nous avons déjà fait des recherches linguistiques), le français (langue romane, une langue sur laquelle nous travaillons depuis longtemps, et pour laquelle des nombreuses analyses sémantiques sont déjà faites, si bien qu’elle nous a servi de langue de base pour nos analyses comparatives), l’anglais (langue germanique de l’ouest, que nous maîtrisons très bien et pour laquelle il existe une littérature précieuse dans le domaine de la sémantique et de la pragmatique). Notons que, dans les cas où nous avons observé des phénomènes particulièrement intéressants (en serbe par exemple le phénomène de l’opposition entre les prépositions po, na et u, basé sur l’opposition discret/continu valable pour l’espace et le temps : cf. chapitre 6), nous avons décidé de vérifier s’ils existent aussi dans d’autres langues slaves, ou ils sont idiomatiques pour le serbe. Plus précisément, notre intention était de voir s’il s’agit d’une particularité linguistique des langues slaves.

Quant aux langues non-européennes, nous avons choisi le kikuyu (langue bantoue parlée au Kenya, pays où nous avons la possibilité de faire beaucoup de travail sur le terrain), le swahili (langue bantoue dont la structure a considérablement changé à cause des contacts avec l’arabe et l’anglais et qui sert de lingua franca en Afrique de l’Est et notamment au Kenya), le louo (langue nilo-saharienne parlée au Kenya), l’arabe classique (langue afro-asiatique – sémitique) et le japonais (langue isolée).