2.2.2 - Usage descriptif et usage interprétatif

L’opposition entre usage descriptif et usage interprétatif est fondamentale dans la théorie de la pertinence. En effet, d’après Sperber & Wilson (1986), une représentation à forme propositionnelle ou un énoncé peut être employé(e) de deux manières :

‘« Elle (toute représentation ayant une forme propositionnelle) peut représenter un état de chose en vertu du fait que sa forme propositionnelle est vraie de cet état de chose; dans ce cas nous dirons que la représentation est une description ou qu’elle est utilisée descriptivement. Ou bien la représentation peut représenter une autre représentation, dotée elle aussi d’une forme propositionnelle – une pensée, par exemple – en vertu d’une ressemblance entre les deux formes propositionnelles. Dans ce cas, nous dirons que la première représentation est une interprétation de la seconde, ou qu’elle est utilisée interprétativement. » (Sperber & Wilson, 1989, 343)’

Il s’ensuit que les énoncés ne servent pas seulement à décrire, mais aussi à représenter les représentations. Comme on le verra plus tard dans cette thèse, c’est grâce à cela qu’on obtient les effets stylistiques connus sur le nom du discours indirect libre, focalisation interne et externe, etc.

La notion cruciale pour cette opposition est la notion de la ressemblance interprétative entre formes propositionnelles. En effet, les deux formes propositionnelles se ressemblent interprétativement si elles partagent certaines de leurs implications analytiques et contextuelles (à contexte constant, bien entendu). Il est important de souligner que la ressemblance interprétative est une notion comparative. En effet, deux formes propositionnelles peuvent partager toutes leurs implications analytiques et contextuelles (communication littérale), certaines d’entre elles (communication non-littérale), ou aucune (échec de la communication) (Moeschler & Reboul, 1994, 102).

Sperber & Wilson (1989, 347) donnent un schéma qui illustre les différents types d’énoncés à usages descriptif et interprétatif et que nous reproduisons ci-dessous :

Figure 1 : la distinction description/interprétation chez Sperber et Wilson
Figure 1 : la distinction description/interprétation chez Sperber et Wilson

Comme on voit sur la figure ci-dessus, selon ces auteurs, dans l’usage interprétatif, la forme propositionnelle d’un énoncé est une interprétation d’une pensée du locuteur, laquelle est une interprétation soit d’une pensée attribuée, soit d’une pensée désirable. Par contre, dans l’usage descriptif, la forme propositionnelle d’un énoncé est une interprétation d’une pensée du locuteur, qui est une description soit d’un état de choses réel, soit d’un états de choses désirable. Répétons-le, l’opposition en question est celle entre la pensée en tant que interprétation d’une autre pensée et la pensée en tant que description d’un état de choses.

Ajoutons que, dans les travaux du GRRT de l’Université de Genève, on trouve des analyses très détaillées des usages descriptifs et interprétatifs des temps verbaux (cf. Sthioul, 1998, Kang’ethe 1999, 2000, Tahara 2000, Asic 2000). A titre d’exemple, le présent, dans son usage descriptif, réfère au moment de la parole (S) (terme emprunté à la théorie de Reichenbach 26 , 1947) :

  1. Maintenant j’écris le deuxième chapitre de ma thèse.

Mais dans le cas de l’usage interprétatif (le présent narratif et le présent pour le futur), on quitte le moment de la parole (S) et on considère un autre moment du passé ou du futur comme un ‘«’ ‘  présent cognitif »’ : 

  1. Un jour, Ted entre dans sa chambre et voit son petit frère en train de détruire sa voiture préférée.
  2. Demain, nous allons à Mombassa.

Plus précisément, dans le cas de l’usage interprétatif, on ne représente plus un état de fait mais une pensée au sujet d’un état de fait : on n’est plus dans la description mais dans l’interprétation. Citons Kang’ethe sur le présent narratif :

‘« Le présent (narratif) crée ici un effet que nous qualifions de cinématographique, car il invite l’interlocuteur à être témoin du déroulement de l’éventualité. Il est clair que, au cinéma, les événements, fictifs bien évidemment, qui défilent devant l’écran créent l’illusion que tout se passe hic et nunc «  (Kang’ethe, 1999, 13).’

Par la suite, Kang’ethe (2003) élabore et approfondit, dans sa thèse, son analyse du présent swahili dans l’usage interprétatif :

‘« Notre hypothèse est que -na- (le morphème du présent en swahili) opère une entorse sur la flèche du temps, qui va traditionnellement de gauche à droite dans la civilisation occidentale. En effet, sa présence fait peu de cas de la vraie référence temporelle de l’éventualité. On est tout simplement invité à voir l’éventualité, le temps important fort peu » (Kang’ethe, 2003, 68).’

Notons cependant que, vu que l’objet de cette thèse est l’étude des prépositions spatiales, temporelles, et spatio-temporelles, nous traiterons dans notre travail de l’usage descriptif et interprétatif non pas des temps verbaux mais, bien évidemment, des prépositions spatiales et temporelles. Nous allons démontrer que, dans l’usage interprétatif des prépositions, ce sont les mêmes mécanismes qui jouent : on n’est plus à S, qui est soit le moment, soit l’endroit de la parole. Une telle observation pourra nous amener à la conclusion suivante : si une caractéristique fondamentale des temps verbaux est applicable aux prépositions spatiales et temporelle, elle doit être la preuve qu’il y a des mécanismes liés à la représentation du temps qui sont à la base des mécanismes liés à la représentation de l’espace. Cela va manifestement à l’encontre de l’hypothèse du localisme. Cependant, comme on le verra plus tard, notre opinion est qu’il s’agit d’une opposition fondamentale valable pour le temps et l’espace et non d’une opposition inhérente au temps et qui peut être appliquée à l’espace.

Notes
26.

Il en sera question en détails dans le chapitre 3.