2.6.2 - Le problème de la catégorisation

Depuis l’antiquité, on supposait que la catégorisation repose sur un modèle des conditions nécessaires et suffisantes qui part du fait que les catégories sont des entités discrètes et que chaque concept a une signification précise exprimée en termes de conditions nécessaires et suffisantes pour l’appartenance à la catégorie en question. Ce modèle connaît de nombreuses difficultés et a été remplacé par la Théorie standard des prototypes. Celle-ci est basée sur les recherches psychologiques récentes dans le domaine de la catégorisation. Le prototype est le meilleur exemplaire de la catégorie et il est défini de façon statistique par la fréquence avec laquelle il est cité. Par exemple, le moineau est le prototype de l’oiseau et la plupart des gens vont penser à lui lorsqu’ils entendent le mot oiseau.. La théorie standard du prototype repose sur un certain nombre d’hypothèses (idem, 387) :

  • Toute catégorie a une structure interne prototypique.
  • Un exemplaire de la catégorie est représentatif à proportion de son degré d’appartenance à la catégorie.
  • Les frontières des catégories sont floues.
  • Les membres d’une catégorie sont liés par la notion de la ressemblance de famille 35 (Wittgenstein, 1953).
  • La décision quant à l’appartenance d’un objet à une catégorie donnée se fait sur la base du degré de la similarité entre l’objet en question et le prototype de la catégorie.
  • L’appartenance ne se fait pas de façon analytique, en comparant chacune des propriétés de l’objet à chacune des propriétés du prototype, mais de façon globale.

Mais cette théorie rencontre un certain nombre de difficultés, qui viennent du fait qu’elle interdit la possibilité de l’universalité de certaines propriétés pour tous les membres de la catégorie. Pour la sauver on a proposé une nouvelle version de la théorie de Théorie des prototypes (version étendue). On y considère que les catégories sont plus ou moins prototypiques, c’est-à-dire on applique la théorie des prototypes aux catégories elles-mêmes. Cela veut dire que certaines catégories sont de meilleurs exemplaires, de meilleurs prototypes de ce qu’est une catégorie prototypique que d’autres. On doit abandonner la notion du prototype comme meilleur exemplaire de chaque catégorie dont l’image mentale constituerait la signification du terme correspondant. Par conséquent, le prototype devient un phénomène d’usage et il n’est plus toujours le meilleur exemplaire de la catégorie dans le jugement des locuteurs (Moeschler & Reboul, 1994, 391).

On a donc dû trouver un autre moyen d’aborder le phénomène de la catégorisation. Dans son livre de 1987, Lakoff fait appel aux Modèles cognitifs idéalisés (Idealised cognitive models). Ils sont dirigés par quatre principes :

  1. Le principe des structures propositionnelles, qui correspond à des modèles du type de celui des conditions nécessaires et suffisantes : l’existence d’un ensemble de propriétés communes à tous les membres de la catégorie ;
  2. Le principe des structures à schéma d’images, qui intègre les images mentales au processus de catégorisation
  3. Le principe des extensions métaphoriques qui intègre les processus métaphoriques au processus de catégorisation
  4. Le principe des extensions métonymiques qui intègre les processus métonymiques au processus de catégorisation

On ne discutera pas des inconvénients de ce modèle pour l’étude de la catégorisation, puisque ce n’est pas du tout l’objectif de notre thèse. Mais les Modèles cognitifs idéalisés insistent sur deux phénomènes qui, selon les cognitivistes, règlent notre conceptualisation du monde. Il s’agit de la métaphore et de la métonymie. C’est surtout le premier phénomène qui nous intéresse ici, car les linguistes d’orientation lakovienne s’en servent pour expliquer les usages polysémiques des prépositions.

Notes
35.

N’importe quel membre d’une famille donnée partage au moins une de ses caractéristiques avec au moins un autre membre de cette famille.