2.6.3 - La métaphore

Qu’est ce que la métaphore dans la linguistique cognitive ? Ce n’est certainement plus une figure de style que l’on rencontre dans la poésie. Dans ses travaux, Lakoff demande la rectification du statut de la métaphore : elle ne doit plus être considérée comme un simple instrument de la rhétorique qui sert à décorer notre discours mais comme un processus cognitif qui organise notre faculté de pensée, forme nos jugements et structure notre langage. Selon cet auteur, l’évidence empirique de ce rôle cognitif de la métaphore est la systématicité immense de ce phénomène : les systèmes individuels de la métaphore (comme temps = argent, amour = voyage) possèdent une grande capacité générative et ces systèmes se manifestent sous une grande variété d’apparences (Lakoff & Johnson 1980).

Pour le prouver, il faut montrer comment la métaphore facilite la pensée. Lakoff explique que c’est en procurant un cadre expérientiel dans lequel les nouveaux concepts abstraits peuvent être saisis. De cette manière, les réseaux de métaphores qui sont à la base de la pensée forment une sorte de carte cognitive : sa fonction est de lier les concepts abstraits à l’expérience physique de l’agent cognitif. Quant à l’expérience, elle provient de sa relation avec le monde externe. Donc la métaphore lie la représentation conceptuelle à sa base sensorielle et expérientielle.

Les métaphores projettent la carte cognitive du domaine (espace) ‘«’ ‘ source »’ sur le domaine (espace) ‘«’ ‘ objectif »’ 36  : de cette manière, l’objectif est ‘«’ ‘ vécu »’ dans l’expérience physico-spatiale grâce à la source. Le résultat est que les schémas qui sont des médiateurs entre les nivaux conceptuels et sensoriels dans la source deviennent actifs aussi dans l’objectif. La notion d’appariement entre espaces mentaux est le composant central de la théorie des espaces mentaux (Fauconnier, 1984) 37 dont on parlera par la suite.

Le rôle des métaphores spatiales dans notre langage illustre la façon dont notre topologie cognitive dissèque le monde. A titre d’exemple, en anglais, la métaphore d’‘»’ ‘ orientation verticale »’ (Up is good — Le haut est bien ; Down is bad — Le bas est mauvais ; Top is best — le sommet est le meilleur ; Bottom is worst — Le bas est le pire ; High is happy — Le supérieur est heureux ; Low is sad — L’inférieur est triste) est beaucoup plus productive que la métaphore d’‘»’ ‘ orientation frontale »’ : Forward is future (Le devant est le futur), back is past (L’arrière est le passé) et d’‘»’ ‘ orientation latérale »’ : Right is good, natural and correct (La droite est bonne, naturelle et correcte), left is bad, unnatural or sinister (la gauche est mauvaise, pas naturel ou sinistre). Objectivement, toutes ces métaphores ont la même productivité, mais, pour les locuteurs de l’anglais (cf. le relativisme linguistique), l’opposition ‘«’ ‘ haut-bas »’ est plus pertinente que les deux autres oppositions (Lakoff, 1987).

Lakoff dit qu’il est extrêmement commun pour les métaphores d’avoir des image-schémas pour input. Un grand nombre de métaphores utilisent le domaine de l’espace comme leur domaine-source. Voici un exemple de Lakoff (1987, 435) : The play is over (la pièce est finie). Ici on emploie la préposition spatiale over pour exprimer un sens non spatial : un événement est fini. Lakoff explique qu’en général les activités avec une structure prédéfinie (comme la pièce du théâtre ou le concert) sont comprises comme des sites étendus et qu’accomplir une telle activité est compris métaphoriquement comme un voyage le long (over) du chemin. Lorsque l’acteur arrive au bout, l’activité est finie.

Il est clair qu’une telle explication laisse à désirer. Lorsque nous analyserons les usages non standard des prépositions (aux chapitres 7 et 8), nous reviendrons sur les explications cognitivistes de ce phénomène. Nous parlerons surtout des travaux d’Evans sur les différents emplois des prépositions (Evans, 2001, Evans & Tyler, 2003).

Notes
36.

L’appariement (mapping) ou la connexion entre les espaces mentaux signifie qu’un objet ou un élément dans un espace mental correspond à un objet ou un élément dans un autre espace mental.

37.

La Théorie des espaces mentaux de Fauconnier (1984) consiste à considérer le langage et son usage comme la construction mentale et abstraite d’espaces et d’éléments, de rôles et de relations entre espaces. Communiquer consisterait à établir des constructions d’espaces semblables ou identiques (Moeschler & Reboul, 1994, 158)