3.2.2 - Les travaux de Herskovits

Le travail d’Herskovits est incontournable lorsqu’on parle des expressions spatiales. Dans son article de 1997, elle résume tous ses travaux sur la cognition et l’encodage linguistique de l’espace.

Herskovits stipule que le langage qu’on utilise pour l’espace est basé sur plusieurs types de connaissance : linguistique, conceptuelle, perceptuelle (qui est l’output de la perception visuelle), et sur la cognition spatiale non-perceptuelle (Herskovits, 1997, 156). Lorsqu’elle parle des relations spatiales représentées par des prépositions spatiales, Herskovits insiste sur le fait que les arguments des prépositions (contrairement à ce que pensent certains linguistes comme Talmy, 2000) ne peuvent pas être réduits à des représentations géométriques comme les points, car certaines prépositions imposent des contraintes sur la forme de leur site (across, along, over en anglais). Selon Herskovits, les objets sont plutôt vus somme de gros patés (blobs) : leur forme et leur extension précises ne sont pas connues et leur représentation consiste en la position du centre de l’objet, ainsi que l’hypothèse que l’objet s’étend vers le domaine extérieur dont les bornes ne sont pas déterminées. En ce sens, Herskovits est contre l’idée de l’existence de systèmes QUOI et Où (le deuxième simplifie maximalement les traits spatiaux des objets). Mais pour le mouvement, on idéalise le mouvement d’un objet 3D à celui de son point central (on le considère comme un centroïde).

En dépit du fait que les prépositions spatiales sont polysémiques, selon Herskovits, on peut les classifier selon des patrons (patterns). Elle est d’accord avec Vandeloise (cf. section suivante) sur l’idée que les différents sens de la préposition ont une ressemblance de famille. Il s’agit d’une notion sémantique inventée par Wittgenstein (1953), dont nous donnons la définition : la ressemblance de famille est une notion qui décrit ce qui rapproche les éléments d’une même catégorie. Cependant, cela ne suppose pas l’existence d’un trait commun à tous, mais stipule tout simplement que tout couple d’éléments de la catégorie doit avoir un trait en commun. Il y a plusieurs types de prépositions spatiales.

Commençons par les prépositions de localisation, dont le sens est toujours locatif (elles peuvent être employées dans les phrases dénotant le mouvement, mais cela ne demande pas de définir des sens motionnels additionnels. Voici la liste (incomplète) de ces prépositions en anglais : at, on, in, upon, against, inside, outside, next, among, under, beneath,etc.

Herskovits souligne qu’il est souvent dit que la préposition définit avec son argument une région de l’espace et que le sens de la phrase locative est que la cible se trouve dans cette région. Cependant, les prépositions impliquant la contiguïté (comme on, against) ne peuvent pas être définies en terme d’inclusion dans la région, car la contiguïté ne peut pas être réduite à l’inclusion dans la surface de l’objet.

En deuxième lieu, on trouve les prépositions de mouvement ; elles définissent le champ de lignes dirigées par rapport au site. Par exemple, la préposition towards (vers) dénote la rapprochement de la cible vers le site ; en d’autres termes, la cible se trouve dans le champs du site. La phrase décrivant le mouvement dit que le chemin de la cible coïncide avec une des lignes définies par la préposition et le site. Bien qu’on stipule souvent que les prépositions motionnelles spécifient l’orientation du chemin, ce n’est pas toujours le cas. Si la trajectoire est courbée ou entortillée, son orientation change à tout point.

La troisième catégorie de prépositions est connue sous le nom de misfits : il s’agit de prépositions qui ont la caractéristique de satisfaire les critères des deux catégories mentionnées. Ainsi over a des sens locatif et motionnel également saillants : The lamp is over the table (La lampe est au dessus de la table)vs He walked over the hill (Il a marché au delà de la colline).Chose intéressante, Herskovits (1997, 167) classe dans ce groupe la préposition before (mais non after), qui a deux sens : Before me was my long-lost friend (Devant moi se trouvait mon vieil ami depuis longtems perdu de vue)vs He entered before her (Il entra avant elle).

Herskovits observe que, outre les misfits, on trouve des usages dynamiques des prépositions locatives et des usages locatifs des prépositions de mouvement. En effet, il y a trois types d’emplois motionnels de prépositions locatives (Herskovits, 1997, 164) :

  1. Pour contraindre la localisation de toute la trajectoire : He was walking on the floor / under the trees / near the park (Il marchait sur le sol/ sous les arbres / près du parc). Ici, il faut souligner qu’à tout point de sa trajectoire, la cible satisfait la relation dénotée par la préposition.
  2. Pour contraindre le point final de toute la trajectoire : The cat ran under the bed/outside the room (Le chat courut sous le lit/hors de la chambre).
  3. Pour contraindre la localisation du point ou du segment de chemin : Jack walked by the house (John marchait le long de la maison) — The cart passed in the back of the house (Le chariot passa à l’arrière de la maison) — The geese flew over the house (Les oies volèrent au dessus de la maison). Cette interprétation peut être créée par le verbe (to pass) ou par la préposition (by) ou par des facteurs pragmatiques.

Quant aux usages statiques des prépositions de mouvement, on en trouve deux types :

  1. Les sens de la disposition de la cible (figure disposition senses), représentés par les exemples : The snake lay across the road/along the wall/around the tree (Le serpent gisait en travers de la route/le long du mur/autour de l’arbre). Ici, la cible doit être un objet linéaire coaxial avec une des lignes dirigées à partir du champ défini par la préposition et le site. Herskovits note que toutes les prépositions de mouvement peuvent être employées dans les cas du mouvement virtuel : The road runs up to the top of the hill/past the stone/from the rock to the stream (La route monte jusqu’au somment de la montagne/à côté de la pierre/du rocher jusqu’au ruisseau).
  2. Les sens du point de vue (vantage point senses) : la cible se trouve à la fin du chemin virtuel ou réel qui est contraint par la préposition et le site : The car is across the street/after the corner/up the hill (La voiture est de l’autre côté de la rue/après le coin/en haut dans la montagne). Dans tous ces cas, il y a un point de vue (normalement associé au locuteur) depuis lequel commence le chemin virtuel.

La complexité des relations spatiales entre la cible et le site et la complexité de leur nature est encore mieux élaborée dans le travail de Talmy (2000).