3.2.4 - Vandeloise et l’espace en français

Le travail de Vandeloise que nous présentons ici concerne la description et la définition des prépositions spatiales en français. Etant donné que le français est la langue dont partent nos analyses, les hypothèses et les conclusions de cet auteur (qui ne seront pourtant pas toujours acceptées) nous sont précieuses et c’est d’elles que nous partirons dans notre présentation du système des prépositions spatio-temporelles en français (chapitre 5). Ainsi, comme nous aurons à revenir sur les travaux de Vandeloise par la suite, nous nous limiterons ici à un bref exposé. Disons tout d’abord que son approche est fonctionnaliste. Dans son livre, Vandeloise (1986) critique les études géométriques et logiques des prépositions. Il explique que :

‘« La logique, négligeant le caractère fonctionnel (utilitaire) du langage, réduit l’étude des prépositions spatiales à la description de leurs usages formellement descriptibles en faisant l’abstraction du contexte » (Vandeloise, 1986, 21).’

On a donc besoin d’une description fonctionnaliste (utilitaire) liée aux connaissances extra-linguistiques sur le monde qui nous entoure. C’est pourquoi, dans son livre, Vandeloise se base, non sur des exemples géométriques et figurétiques, mais sur des exemples de situations réelles ou imaginaires (il les dessine lui-même). En fait, il part de caractéristiques préthéoriques, à savoir celles qui décrivent le sens de la préposition selon l’intuition d’un locuteur naïf. Notons que ces exemples révèlent parfois des emplois atypiques des prépositions (par exemple le cas d’une pomme qui se trouve sur les autres fruits dans le panier et qui n’est plus dans l’espace délimité par le panier mais dont on peut néanmoins dire qu’elle est dans le panier).

Vandeloise souligne que, dans la description des relations spatiales, le langage humain, contrairement aux sciences, ignore tout détail inutile à ses fins immédiates et exploite au maximum la connaissance commune aux participants du discours. Le but principal de son travail est de donner une description fonctionnaliste des prépositions spatiales en français sous forme de règles, en tenant compte de la multitude de leurs usages. La description d’une proposition part de son impulsion (selon l’auteur, ‘«’ ‘ le signifié originel simple »’ qui est développé en accord avec notre représentation mentale du monde), et on obtient ensuite, à travers le pont pragmatique, des règles d’usages. Plus précisément, le linguiste part de caractéristiques préthéoriques pour les trier ensuite et pour ne retenir que celles qui sont déterminantes, c’est-à-dire nécessaires pour motiver ou exclure au moins un type d’emploi d’une certaine préposition. Ces caractéristiques déterminantes, que Vandeloise appelle les traits, se combinent entre elles pour former une série de combinaisons qui décrivent chacune un emploi particulier de la préposition qu’on traite. L’hypothèse de Vandeloise est que les combinaisons sont contrôlées par des concepts pré-linguistiques, à savoir cognitifs.

Parmi les usages d’une préposition, on peut faire la distinction entre les usages normatifs, les usages dérivés et les usages déviants. Soulignons que Vandeloise stipule que, entre les différents usages de chaque préposition, existe une ressemblance de famille, représentée par différentes combinaisons des traits qui caractérisent la préposition en question. Plus précisément, deux usages d’une préposition ne doivent pas forcément partager les mêmes traits, mais tout trait doit exister chez deux prépositions au minimum.

Chaque préposition spatiale décrit une relation entre le site, qui est l’objet dont la position est déjà connue, et la cible, qui est l’objet dont la position est définie par rapport à la position du site. Vandeloise note (ibid., 122) que les phrases où le locuteur est la cible d’une relation apparaissent très tard dans l’apprentissage du langage et que l’identification du locuteur au site (le transfert) joue probablement un grand rôle dans la manipulation des prépositions avant ce stade.

L’autre question que se pose Vandeloise est celle des primitifs conceptuels (il utilise le terme traits universels) à la base des prépositions spatiales. Selon lui, il y a cinq groupes de traits universels spatiaux (ibid., 30) :

  1. les directions déterminées par la symétrie du corps humain,
  2. les concepts de la physique naïve (relation porteur – porté, contenant – contenu, axe vertical),
  3. l’accès physique et l’accès à la perception,
  4. la rencontre potentielle,
  5. l’orientation générale et l’orientation latérale.

Il convient de les définir plus précisément. La symétrie anatomique et la fonction du corps humain déterminent clairement deux directions privilégiées : la direction frontale et la direction latérale. Le sens positif de la première est donné par la position du front et des orteils et son sens négatif par la position de la nuque et des talons. Mais, selon Vandeloise, la direction frontale doit être remplacée par une notion plus complexe : l’orientation générale qui comprend en plus la direction du mouvement et la ligne du regard. Cette notion définit les prépositions devant et derrière. Nous donnons, comme exemple de règle d’usage de Vandeloise (1986, 108), la définition de ces deux prépositions :

Cependant, tous les emplois de ces prépositions ne sont pas gouvernés par cette règle d’usage. En effet, on trouve des cas où intervient un autre critère, l’accès à la perception. On a donc une deuxième définition (Vandeloise, 1986, 155) :

Vandeloise explique qu’à la différence des prépositions devant et derrière, les prépositions (les locutions prépositionnelles) en face de et dans le dos de sont définies uniquement par la direction frontale. C’est pourquoi elles ne peuvent pas être employées avec des objets non-orientés : *La balle est dans le dos de l’arbre.

Quant à la direction latérale, elle est définie comme la direction perpendiculaire à l’orientation générale. Elle est à la base des prépositions à gauche / à droite.

Les relations contenant – contenu et porteur – porté (déjà évoquées) sont pour Vandeloise, des critères extra-linguistiques fonctionnels, issus de la physique naïve. La première relation définit les prépositions dans et hors de. La cible est toujours mobile par rapport au site et contrôlée par lui. Vandeloise souligne que le rapport entre les termes de la préposition dans va de l’inclusion totale de la cible dans le site jusqu’à son exclusion totale (idem, 221). Cette préposition peut être décrite par la règle canonique :

a est dans b si les frontières du site incluent les frontières de la cible.

Voici la règle dérivée (justifiée par un grand nombre d’exemples où la cible n’est pas entièrement englobée par le site) :

La définition de la préposition complémentaire hors de découle de la définition de dans :

Passons maintenant aux notions d’accès physique et d’accès à la perception. Elles signifient que la cible est cachée par le site et par conséquent, invisible et insaisissable. Elles sont présentes dans le sémantisme des prépositions devant et derrière mais aussi dans celui des prépositions sur et sous. L’autre notion qui définit ces prépositions est la relation porteur – porté qui est un concept de la physique naïve. Elle comprend les notions de contact et d’opposition à la pesanteur.

Il nous reste à expliquer la notion de rencontre potentielle, qui joue un rôle crucial lorsque la cible et le site sont en mouvement (réel ou imaginaire). La rencontre potentielle est la rencontre de la cible (ou du site) et d’un but fixé (le pôle de relation, selon Vandeloise) vers lequel ils bougent. De cette notion découle une autre notion, celle de l’ordre dans le mouvement. Comme on le verra plus tard, cette notion sera largement exploitée dans les analyses des prépositions avant et après qui sont toujours liées (dans leur usage spatial et temporel) au mouvement.

Ajoutons à la fin de cette section que, dans ses travaux, Vandeloise analyse aussi les usages temporels des prépositions spatiales, notamment les usages temporels de dans. Nous y reviendrons lorsque nous traiterons les emplois non-standard des prépositions spatiales.

Dans la suite de ce chapitre nous aborderons un sujet qui, à première vue, est conceptuellement et théoriquement assez éloigné des travaux que l’on vient de présenter mais qui sera d’une grande importance, non pour nos analyses linguistiques, mais pour nos conclusions.