4.5 - Représentations spatiales et représentations temporelles

Comme on le sait (une abondante littérature sur le sujet est consacrée à le montrer), la représentation linguistique du temps est difficile à dissocier de celle de l’espace (cf. chapitre 1). D’une part, il y a peu de propositions qui soient purement spatiales ou purement temporelles — au sens où elles ne seraient susceptibles que de l’un de ces usages —, d’autre part, Jackendoff fait l’hypothèse forte selon laquelle la représentation du temps, plus abstraite puisque impossible à percevoir directement, serait directement dérivée de la représentation de l’espace, qui la précède puisqu’elle peut reposer (comme on vient de le voir, cf. § 4.4) sur la perception.

Comme nous l’avons indiqué au début de ce chapitre (cf. § 4.1), s’il a fallu attendre longtemps une ontologie spatiale, on dispose en revanche depuis longtemps d’une ontologie temporelle, celle de Vendler (1957). Rappelons rapidement de quoi il s’agit (cf. chapitre 3, § 3.1.1). L’ontologie vendlerienne consiste à distinguer à l’intérieur d’une classe commune, les éventualités, diverses entités temporelles sur la base de trois caractéristiques : le dynamisme — une éventualité est dynamique si elle produit un changement d’état du monde — ; la télicité — une éventualité est télique si elle possède une borne naturelle — ; l’homogénéité — chaque partie du processus relève de la même catégorie que le processus dans son ensemble. Comme nous allons le voir, les deux derniers critères sont susceptibles d’une définition dans l’ontologie de Casati et Varzi, telle qu’elle a été décrite plus haut.

Commençons par la télicité, le fait d’avoir une borne. Bien évidemment, quand on dit que certaines éventualités (les états et les activités) n’ont pas de borne naturelle, il ne s’agit pas de dire qu’elles sont éternelles, mais qu’une intervention extérieure sera nécessaire pour les arrêter (pour les états, il s’agira de l’occurrence d’une éventualité dynamique, accomplissement ou achèvement) ou qu’une décision qui n’est pas en elle-même une partie de l’éventualité sera nécessaire pour les arrêter (pour les activités, il s’agit de la décision de l’agent de l’activité). On peut dès lors définir la notion de télicité (à partir de la notion de borne, cf. § 4.2.2. et § 4.3) :

(e est télique est égal par définition à il existe y tel que y est une partie de la borne de e)

En ce qui concerne la notion d’homogénéité, elle concerne le fait que chaque partie d’une éventualité relève de la même catégorie que l’éventualité dans son intégralité. On peut très simplement la définir de la façon suivante :

Revenons-en rapidement au dynamisme : pour le définir, on a en effet besoin d’une direction du temps pour indiquer qu’un état précédent est suivi d’une éventualité qui produit un état différent. Nous reviendrons sur la définition du dynamisme par la suite lorsque nous aurons introduit les notions de cadre de référence et la façon dont on peut les ajouter à l’ontologie de Casati et Varzi.

Pour l’instant, indiquons brièvement comment les différentes éventualités s’inscrivent dans ces différents critères dans le tableau suivant :

Tableau 1 : Ontologie vendlérienne des éventualités
Eventualités/ critères Dynamisme Télicité Homogénéité
Etat +
Activité +
Accomplissement + +
Achèvement + + +

Deux remarques sur ce tableau s’imposent : d’une part, les états et les activités ne se distinguent que sur un critère additionnel, l’agentivité (le fait pour une entité animée d’être la cause — généralement intentionnelle — d’une action, par exemple, courir), qui est négatif pour les états et positif pour les activités ; d’autre part, les achèvements sont homogènes pour la simple raison qu’ils sont atomiques, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas de parties propres. Ils sont donc homogènes en tant que partie d’eux-mêmes. On rappellera ici le principe d’atomicité (cf. § 4.2.1) :

(Pour tout x, il existe y tel que y est une partie de x et il n’existe pas z tel que z est une partie propre de y)

Les achèvements sont un exemple parfait de la nécessité du principe d’atomicité pour une ontologie satisfaisante de l’espace et du temps. Nous offrirons par la suite une définition de chacune des éventualités selon les trois critères évoqués plus haut, après avoir réintroduit les cadres de référence et montré comment on peut les associer à l’ontologie décrite plus haut.