5.2 - Généralités

5.2.1 - Les entités spatiales, les entités temporelles et leurs localisations respectives

C’est un lieu commun de dire que les objets sont localisés dans l’espace et que les éventualités sont localisées dans le temps. Pour autant, les objets sont aussi localisés dans le temps (ils existent dans la durée et ils changent), même si leur localisation temporelle est moins précise et moins importante que leur localisation spatiale. Parallèlement, les éventualités sont aussi localisées dans l’espace, même si leur localisation spatiale est moins précise et moins importante 97 que leur localisation temporelle. Il y a donc un certain nombre d’analogies entre les entités temporelles et les entités spatiales. Notamment, certaines des notions proposées par Casati et Varzi, par exemples les notions méréologiques sont communes au temps et à l’espace. On peut donc se poser la question des relations entre la structure des entités spatiales et celle des entités temporelles. Dans cette perspective, Casati & Varzi (1999, 172. Nous traduisons) discutent de l’hypothèse de la complémentarité des entités spatiales et des entités temporelles, hypothèse qu’ils décrivent de la façon suivante :

‘« Disons qu’une caractérisation de la catégorie des objets ou de la catégorie des événements est une caractérisation structurelle si elle fait exclusivement allusion à des faits spatiaux ou temporels. Maintenant supposons que, étant donné une caractérisation structurelle des objets, vous puissiez produire une caractérisation structurelle des événements en remplaçant simplement les faits temporels (s’il y en a) par des faits spatiaux, et des faits spatiaux (s’il y en a) par des faits temporels. Et supposons, de façon converse, que étant donné une caractérisation structurelle des événements vous puissiez par un remplacement similaire produire une caractérisation structurelle des objets. (…) Cette possibilité est le contenu de ce que nous appellerons (…) une hypothèse de complémentarité. »’

Nous n’entrerons pas ici dans les détails de l’excellente discussion que Casati & Varzi (ibid., chapitre 10) font de l’hypothèse de la complémentarité. Leur conclusion est que cette hypothèse est trop forte.

Nous nous intéresserons plutôt ici aux caractéristiques respectives des entités spatiales et des entités temporelles qui sont pertinentes pour leur localisation. Commençons par les caractéristiques méréologiques des entités spatiales et temporelles. Les unes et les autres ont des parties, la seule question étant de savoir si les entités temporelles peuvent avoir des parties spatiales et si les entités spatiales peuvent avoir des parties temporelles. Sans trancher cette question d’un point de vue métaphysique, on considérera ici que la réponse est largement une question d’opportunité. Nous n’avons pas ici besoin de considérer les parties spatiales des entités temporelles ni les parties temporelles des entités spatiales. En revanche, si l’on considère la notion de borne, il va de soi qu’il y a des bornes temporelles et des bornes spatiales (indépendamment du fait que les premières soient ou non réservées aux entités temporelles et que les secondes soient ou non réservées aux entités spatiales) et qu’elles ont des propriétés différentes : si les bornes spatiales sont généralement auto-connectées, ce n’est pas le cas des bornes temporelles. Par définition, la borne d’un événement a deux parties qui ne sont pas connectées entre elles, la borne antérieure et la borne postérieure.

Par ailleurs, une question qui se pose est de savoir si l’on peut considérer la localisation temporelle comme analogue à la localisation spatiale, dans le sens spécifique où elles reposeraient sur les mêmes notions. Plutôt que de localisation, on pourrait préférer adopter une position purement méréologique pour le temps, position dans laquelle la coïncidence temporelle (telle qu’elle est indiquée par exemple par des prépositions temporelles comme lors de, au moment de, pendant ou durant) serait ramenée à la relation partie-tout.

Nous voudrions ici faire une digression plus générale sur la notion de partie et, notamment, expliquer pourquoi nous avons, dans les analyses proposées ci-dessous des prépositions, choisi généralement de parler en termes de régions et de parties de régions plutôt qu’en termes de parties d’entités comme des objets et des événements et des relations entre ces parties d’objets et d’événements. Il y a à cela une raison simple, peut-être plus sensible dans le domaine temporel que dans le domaine spatial. Cette raison tient aux conditions à remplir pour qu’une entité soit une partie (propre) d’une éventualité. Si l’on commence par écarter les achèvements (qui sont, dans les termes de Ter Meulen, des bouchons, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas de partie : en termes méréologiques, ce sont des atomes), on peut considérer qu’une entité est une partie d’une éventualité si elle est une partie propre de cette éventualité. Dans cet esprit, on peut opposer par exemple Pendant la construction de sa maison, Marie a consulté l’architecte Durand vs Pendant la construction de sa maison, Marie a eu un enfant : il y a relation partie-tout dans la première, mais pas dans la seconde. En d’autres termes, la simple coïncidence temporelle (partielle ou totale) ne suffit pas. Lorsqu’il y a coïncidence temporelle, tout ce que cela signifie, c’est que la région (temporelle, i.e. déterminée sur la ligne du temps) où est localisée l’entité coïncide (partiellement ou totalement) avec la région temporelle où est localisée l’éventualité. On remarquera cependant que la coïncidence temporelle n’exclut pas d’un point de vue sémantique la relation partie/tout : mais elle ne l’implique pas. Ainsi, nous utiliserons la théorie de la localisation que proposent Casati et Varzi et nous ne nous en tiendrons pas à la méréologie, même pour les prépositions temporelles.

Passons maintenant à la stratégie que nous adopterons ici pour la description sémantique des prépositions dont nous traitons dans ce chapitre.

Notes
97.

Sauf pour certains cas particuliers : par exemple la prise de la Bastille.