5.2.3 - Sémantique minimaliste et hypothèse de localisation

Commençons par rappeler que l’hypothèse de la localisation consiste à considérer que la cognition spatiale précède et sert de base à d’autres formes de la cognition, notamment la cognition temporelle. Dans le domaine linguistique, l’hypothèse de la localisation consiste à dire que la représentation linguistique de l’espace est aussi utilisée pour la représentation linguistique du temps. Dans cette optique, on s’attend à ce que certaines prépositions spatiales puissent aussi servir à représenter des relations temporelles. Comme on le verra au paragraphe suivant, c’est effectivement le cas, et si certaines prépositions sont purement spatiales, d’autres sont spatio-temporelles. Ceci justifie, partiellement au moins, l’hypothèse de la localisation. En revanche, on pourrait légitimement considérer que l’existence de prépositions temporelles (en français, lors de, au moment de, pendant et durant) pose un problème à l’hypothèse de la localisation. En effet, si la représentation linguistique du temps dépend de celle de l’espace, on s’attendrait à ce que toutes les prépositions utilisées pour décrire des relations temporelles le soient aussi pour décrire des relations spatiales. Dans cette optique, l’hypothèse de la localisation prédirait l’existence de prépositions spatio-temporelles et l’inexistence de prépositions purement temporelles.

A première vue, cette prédiction ne semble pas réalisée. Toutefois, avant de rejeter l’hypothèse de la localisation, nous voudrions examiner de plus près la signification de termes apparemment techniques comme préposition spatiale, préposition temporelle et préposition spatio-temporelle.

Le premier sens, le plus évident aussi, est celui de l’usage : une préposition spatiale est une préposition qui n’a que des usages spatiaux, une préposition spatio-temporelle est une préposition qui a des usages temporels et des usages spatiaux et une préposition temporel est une préposition qui n’a que des usages temporels. Le problème que posent ces trois types de prépositions à l’hypothèse de la localisation est l’explication des prépositions à usages exclusivement spatiaux et, surtout, celle des prépositions à usages exclusivement temporels. L’existence de prépositions du premier type s’explique facilement par la réduction du nombre de dimensions lorsque l’on passe de l’espace tridimensionnel au temps unidimensionnel. Le problème qui subsiste, cependant, est celui des prépositions à usages exclusivement temporels. Sans anticiper sur le paragraphe 5.6 qui sera consacré à ces prépositions, on peut rappeler qu’il s’agit de lors de, au moment de, durant et pendant. Toutes ces prépositions indiquent la coïncidence temporelle. Comme nous l’avons vu plus haut (cf. § 5.2.1), nous traiterons la coïncidence temporelle par des notions empruntées à la théorie de la localisation proposée par Casati et Varzi. On notera donc, relativement à l’hypothèse de la localisation, que les notions utilisées sont bel et bien des notions spatiales. Comment, dès lors, expliquer l’usage exclusivement temporel de ces prépositions ? Il nous semble qu’il vient, non pas à un sémantisme temporel, mais au fait que la relation qu’indiquent ces prépositions n’est tout simplement pas possible pour des entités spatiales : en effet, deux objets ne peuvent être localisés à la même région spatiale (au même moment), alors que deux éventualités peuvent être localisées à la même région temporelle. Ainsi, l’existence de prépositions exclusivement spatiales s’explique par le fait que ces prépositions décrivent des relations qui existent dans des dimensions purement spatiales et l’existence de prépositions exclusivement temporelles s’explique par le fait que la relation qu’elles décrivent, bien qu’exprimées en termes spatiaux, n’est possible que pour des entités temporelles.

Nous voudrions cependant signaler une autre interprétation possible (et plus technique) des termes prépositions spatiales, prépositions temporelles et prépositions spatio-temporelles. Cette interprétation touche, non plus à l’usage, mais au sens des prépositions, à leur sémantisme. Dans cette optique, on peut définir une préposition spatiale comme une préposition dont le sens ne fait intervenir que des concepts spatiaux et une préposition temporelle comme une préposition dont le sens ne fait intervenir que des concepts temporels. Comme nous l’avons vu, cette catégorie semble vide, du moins en français. Restent les prépositions spatio-temporelles, pour lesquelles deux hypothèses sont possibles : (i) ces prépositions ont un sémantisme neutre qui peut s’appliquer à des relations aussi bien entre entités spatiales qu’entre entités temporelles ; (ii) chacune d’entre elles correspond en fait à deux sémantismes, l’un pour l’espace, l’autre pour le temps. On remarquera que si la première hypothèse respecte tout à la fois l’hypothèse de la localisation et la stratégie sémantique minimaliste adoptée ici, la seconde viole l’une et l’autre. Nous montrerons dans la suite de ce chapitre que la première hypothèse correspond bien à la situation des prépositions spatio-temporelles en français.

Passons maintenant à la définition de ces trois propositions.