5.7.3 - L’approche optimaliste

Les résultats montrent que les langues analysées ne diffèrent pas essentiellement dans le domaine des prépositions spatio-temporelles. En effet, elles ont toutes le moyen de marquer les relations désignées par les prépositions françaises en question. Cependant elles n’ont pas parfois un vocabulaire ‘»’ ‘ prépositionnel ’» aussi riche : ainsi, la plupart des langues analysées n’ont pas l’opposition linguistique entre depuis et dès ;à leurs places elles utilisent la préposition de dont le sémantisme est minimal et qui dénote (dans le domaine spatial ou temporel) le point initial d’un segment. La seule exception est le swahili, qui a une préposition pour depuis temporelet une autre pour depuis spatial, depuis spatial pouvant cependant être employé avec des entités temporelles. Par ailleurs, certaines langues n’ont pas de prépositions spécifiques pour à travers ou vers et le japonais n’a même pas la préposition entre. Mais cela ne signifie pas que ces concepts ne soient pas exprimables dans les langues analysées.

On a ici, comme toujours dans le langage, un conflit entre la simplicité (l’économie linguistique) et la tendance à donner des instructions riches et précises. Ce type de rivalité n’est ni extraordinaire, ni limité aux prépositions : on le trouve à tous les niveaux linguistiques (phonologie, morphologie, syntaxe etc). Rappelons que, selon la Théorie de l’Optimalité (Prince & Smolensky, 1993), introduite au chapitre 2, le conflit fondamental dans toute grammaire est celui entre la force de marquage (markedness, M) et la force de fidélité (faithfulness, F) : la première (M) dénote la tendance du langage à avoir des structures non-marquées, tandis que la deuxième (F) désigne le besoin opposé, celui de créer des contrastes lexicaux. L’importance de F est claire : afin d’exprimer les contrastes de sens, le langage a besoin de contrastes linguistiquement explicités. L’influence de M peut amener au manque fatal d’oppositions linguistiques. Le rôle de la grammaire est de régler les conflits entre les contraintes, afin de sélectionner l’output le plus optimal et harmonieux. Les conflits sont résolus par le principe de la domination. La domination change selon la langue et selon le domaine : parfois c’est M, parfois c’est F qui l’emporte.

Ceci dit, pour le cas des prépositions spatio-temporelles, il semble qu’en français et en anglais, ce soit la force de fidélité qui gagne tandis qu’elle est moins forte dans les autres langues examinées et surtout en japonais où c’est la force de marquage qui remporte. Ceci dit, le japonais a peu de prépositions pour les relations analysées, mais les exprime différemment : à titre d’exemple, pour à travers,on emploie le gérondif wo totte (en traversant) ou, au lieu d’avoir un mot pour entre,on dit kara… made (de… jusqu’à). Un autre exemple assez frappant est le cas de l’opposition en français entre les préposition de, depuis et dès : manifestement ici c’est la force de fidélité qui domine. Rappelons que dans certaines langues, cette distinction n’existe pas, et que dans les trois cas une même préposition est utilisée – elle est sémantiquement neutre comme de.

On verra au chapitre 6 que, dans un autre domaine, la répartition est différente : en français, ce n’est pas toujours la force de fidélité qui gagne.