Contrairement aux autres langues indo-européennes, les langues slaves possèdent un moyen linguistique d’exprimer l’opposition entre éventualités spatialement statiques et éventualités spatialement dynamiques 122 , quand elles se déroulent dans certaines conditions.
Par spatialement dynamique,nous désignons une éventualité qui sous-entend le mouvement horizontal (changement de coordonnée sur l’axe horizontal, déplacement) sur une surface. On en a des exemples avec courir, marcher, se déplacer, etc. Par spatialement statique,nous considérons toute éventualité qui n’a pas cette caractéristique, comme dormir, s’asseoir, courir sur place, etc. Seuls les processus spatialement dynamiques peuvent être représentés par des vecteurs (un vecteur est un segment de droite défini en grandeur, direction et sens).Ils sont donc spatialement dirigés au sens de Jackendoff (1991). Mais ce n’est pas une condition nécessaire pour qu’un processus soit considéré comme spatialement dynamique : même dans le cas d’un mouvement diffusionnel (comme fourmiller),le processus est considéré comme spatialement dynamique.
Voici donc une première règle (déjà mentionné dans la section précédente) : po est employé quand le verbe est spatialement dynamique et na quand le verbe est spatialement statique. C’est ce que montrent les exemples suivants :
Dusan court sur l’herbe
Dusan court sur l’herbe.
Dusan dort sur l’herbe
Dusan dort sur l’herbe.
Mais l’analogie ne s’arrête pas là : chose intéressante, la même opposition linguistique est employée pour des sites qui ne sont pas des objets physiques ou géométriques mais des phénomènes naturels, comme le soleil, la pluie, la neige, etc. (Ivic, 1995). Ceux-ci sont ontologiquement plutôt des entités temporelles car ils durent (se développent) dans le temps. C’est pourquoi on peut très naturellement dire avant la pluie ou après la neige.
Il faut maintenant introduire une autre distinction qui concerne la nature des phénomènes : si les conditions dans lesquelles l’éventualité se passe sont vues comme agissant sur l’homme, il s’agit de phénomènes efficaces. On en a des exemples avec le soleil qui brille ou la pluie qui tombe. Dans ce cas :
Cependant, si les conditions n’agissent pas sur l’homme, mais forment simplement un cadre dans lequel l’éventualité se produit, ces phénomènes sont considérés comme non-efficaces. C’est le cas, par exemple, de l’ombre et de l’obscurité. Dans ce cas :
En somme, avec des verbes spatialement dynamiques, la préposition ne change pas selon les conditions (on a toujours po que ce soit un phénomène efficace ou non-efficace). Avec les verbes spatialement statiques, u est employé pour les phénomènes non-efficaces et na pour les phénomènes efficaces.
Ted court sur soleil.
Ted court au soleil.
Ted marche sur ombre grand baobab arbre
Ted marche à l’ombre d’un grand baobab.
Marvin dort sur soleil.
Marvin dort au soleil.
Dusan roupille dans ombre grand baobab arbre
Dusan roupille à l’ombre d’un grand baobab.
Ces règles sont résumées dans le tableau ci-dessous :
Phenomenes efficaces | Phenomenes non-efficaces | |
Verbes statiques | na | u |
Verbes dynamiques | po | po |
Si on compare cette situation avec celle qu’on a pour les objets physiques (na pour les objets discrets et po pour les substances continues), il s’ensuit que les éventualités spatialement dynamiques devraient avoir (en quelque sorte) une ressemblance conceptuelle avec la substance continue, tandis que les éventualités spatialement statiques devraient avoir (en quelque sens) une ressemblance conceptuelle avec les objets discrets et comptables. Cela engendre deux questions :
Soulignons que l’opposition en question n’est pas l’opposition vendlerienne entre les activités non-bornées et les événements bornés, mais entre le mouvement horizontal et le repos.