6.3.4 - Notre hypothèse

Après cette petite parenthèse, nous pouvons retourner à la question principale. Comment lier les usages spatiaux et non-spatiaux de po, na et ? Revenons à nos exemples de base :

  1. Marvin spava na suncu.

Marvin dort sur soleil

Marvin dort au soleil.

  1. Marvin spava uhladu.

Marvin dort dans l’ombre

Marvin dort à l’ombre.

  1. Ted trci po suncu.

Ted court sur soleil

Ted court au soleil.

Nous faisons l’hypothèse que les verbes spatialement statiques ne créent pas l’image de l’écoulement du temps, mais qu’ils donnent une image statique et instantanée (comme une photographie) du processus, et, par conséquent, demandent les prépositions na ou u, qui désignent une relation statique entre l’objet et le site (dans ce cas, le procès et les conditions naturelles dans lesquelles il se déroule). L’emploi de u dans le cas de phénomènes non-efficaces est parfaitement logique, car le processus est ‘«’ ‘ entouré ’» de son ambiance. Comparons cela avec des exemples dans lesquels les sites sont l’eau, l’air, la mousse, etc. Ces substances ne sont pas non plus des contenant bornés et discrets (comme un verre, une boite, etc.), mais elles demandent quand même la préposition u :

  1. Riba je uvodi.

Poisson est dans eau.

Le poisson est dans l’eau.

Par contre, l’usage de na avec des phénomènes efficaces est moins facile à expliquer. Avançons néanmoins une explication : la langue serbe n’ayant pas de prépositions à sémantisme vide (comme à en français), qui sont idéales pour ce type de relation, doit se servir des moyens linguistiques dont elle dispose.

Ainsi, la préposition na (dont le sens spatial est à peu près équivalent à celui de sur en français 130 ) joue plusieurs rôles dénotant des relations géométriques et abstraites. Elle est donc utilisée avec des sites qui ne sont pas des objets matériels. La même chose vaut pour la préposition u, dans le cas des relations abstraites. Il faut souligner que la préposition na, employée avec les phénomènes naturels, ne dénote pas une relation spatiale connue comme support (voir Vandeloise, 1986), mais réfère au contact statique (discret). Quant à u, il dénote l’enclosure du processus statique par le phénomène naturel.

  1. Automobil stoji na suncu.

Voiture est debout sur soleil

La voiture se trouve au soleil.

  1. Automobil se nalazi usenci.

Voiture se trouve dans ombre

La voiture se trouve dans l’ombre.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. L’opposition na-po, qui existe en serbe dans le domaine matériel, est facilement transposée dans le domaine abstrait. La conséquence en est que la préposition po (qui dénote le contact dynamique — continu) est utilisée avec des processus spatialement dynamiques, dont la représentation contient le trait continuité :

  1. Automobil juri po suncu.

Voiture va sur soleil.

La voiture roule à toute vitesse au soleil.

  1. Automobil se okrece po senci.

Voiture se tourne sur ombre

La voiture tourne à l’ombre.

Comme le montrent les exemples, le trait dynamique est tellement fort qu’il efface la différence entre le type de phénomène concerné : qu’il soit efficace on non, po est employé.

Comparons maintenant po avec la préposition prema (vers) : elles sont toutes les deux dynamiques, mais vers dénote un mouvement directionnel qui va aboutir au contact : po dénote un mouvement non-directionnel où le contact existe déjà. C’est ce que montrent les exemples suivants :

  1. Automobil vozi prema gradu.

Voiture roule vers ville

La voiture roule vers la ville.

Ajoutons que les verbes spatialement dynamiques, avec la préposition po, donnent des effets dits cinématographiques (le processus se déroule devant nous, comme si nous regardions un film, cf. Kang’ethe, 2000). C’est parce que ces verbes (spatialement dynamiques) présupposent, à notre avis, un mouvement non-borné dans l’espace et mettent en évidence l’écoulement du temps. Ce processus est accentué par la préposition po : le contact dynamique de la substance continue (qui se répand) et de son site. Pensons à une tache de café sur la nappe qui s’élargit sous nos yeux.

Nous pensons que l’exemple suivant confirme cette hypothèse :

  1. Moj auto je uparkiran na suncu.

Ma voiture est garée sur soleil

Ma voiture est garée au soleil.

Ici nous avons une image figée de l’état résultant et non le processus qui se déroule et qui présuppose l’écoulement du temps. Par conséquent, l’emploi de po est incorrect :

  1. * Moj auto je uparkiran posuncu.

En revanche, dans la mesure où se garer est un procès dynamique, po convient parfaitement dans le cas suivant :

  1. Fred parkira kola posuncu.

Fred gare voiture sur soleil

Fred est en train de garer sa voiture au soleil

Une chose doit être éclaircie à ce point : nous ne stipulons pas que des processus spatialement statiques ne se déroulent pas dans le temps. Cependant, dans des exemples comme (63), on en fait abstraction : on en donne une image (photographie) atemporelle. Cela est, par contre, impossible avec des processus spatialement dynamiques : ils décrivent le mouvement dans l’espace et le mouvement sans le passage du temps, est inconcevable. Il semble néanmoins que le repos atemporel est quelque chose d’imaginable.

Notes
130.

Cf. chapitre 5.