6.4.2.2 - La lecture temporelle

Revenons à notre exemple : Teddy dort au soleil. Comme on l’a déjà montré, la préposition na (sur)est employée en bulgare dans cette phrase, mais, si on veut insister sur la lecture temporelle (pour dire que Teddy dort quand il fait jour), on doit éviter l’article (slunce et non slunce to ).

Donc, dans ce type de phrase, l’opposition indéfini/défini est utilisée pour marquer la différence entre la lecture spatiale et la lecture temporelle 133 . Ainsi, à la différence du serbe, il n’y a pas de violation de la règle po uniquement avec des verbes spatialement dynamiques. Soulignons qu’il est possible de jouer sur cette opposition dans le cas des verbes spatialement statiques ainsi que dans le cas des verbes spatialement dynamiques, pour les phénomènes efficaces et non-efficaces (Asic, 2004). Cette situation est illustrée par les exemples suivants :

  1. Ted bjaga po slunceTO.

Ted court sur soleil-le

Ted court au soleil.

  1. Ted bjaga poslunce.

Ted court sur soleil

Ted court pendant la journée.

  1. Marvin hodi potumnoTO.

Marvin marche sur obscurité-le

Marvin marche dans l’obscurité.

  1. Marvin hodi potumno.

Marvin marche sur obscurité

Marvin marche la nuit.

  1. Ted spi na slunceTO.

Ted dort sur soleil-le

Ted dort sous le soleil.

  1. Ted spi na slunce.

Ted dort sur soleil

Ted dort pendant la journée.

  1. Marvin place vmrakA

Marvin pleure dans obscurité-le

Marvin pleure dans l’obscurité .

  1. Marvin place vmrak.

Marvin pleure dans obscurité

Marvin pleure la nuit.

Dans tous ces exemples, la présence de l’article défini signale que la lecture est spatiale. Manifestement, le phénomène naturel en question est vu comme une localisation, une entité spatiale définie.

Cependant, dans le cas où l’article défini est absent, la phrase a une lecture temporelle. En effet, le phénomène naturel en question devient une entité purement temporelle et abstraite et, par conséquent, on peut localiser l’activité en question uniquement dans le temps.

La question qui se pose alors est celle de la relation, d’une part, entredéfinitude et lecture spatiale et, de l’autre, entre indéfinitude et lecture temporelle ? Autrement dit, pourquoi v mraka (dans l’obscurité) est-il spatial, alors que v mrak (dans obscurité)est temporel et dénote la période où il fait nuit ?

On vient de dire que la fonction de l’article défini est de marquer l’identifiabilité du réfèrent (Allan, 2001, 448). Donc, en son absence, il est impossible d’identifier la pluie : elle n’est pas actualisée et n’existe que génériquement en tant que durée temporelle où il est vrai qu’il pleut. Cela s’accorde très bien avec le sens du présent non-référentiel. C’est pourquoi des adverbes tels que toujours, habituellement, rarement s’intègrent bien dans la phrase :

  1. Moeto bebe normalno place vmrak.

Mon bébé normalement dort dans obscurité

Mon bébé normalement pleure quand il fait nuit.

Ainsi, ce qui est obtenu en serbe grâce à l’emploi temporel de po est obtenu en bulgare grâce à l’opposition présence/absence de l’article défini. Mais le bulgare nous offre encore une possibilité. Rappelons qu’en serbe, avec des verbes spatialement dynamiques po est toujours employé : il est donc impossible d’avoir une lecture exclusivement temporelle. Cependant, on a en bulgare une opposition entre (74) et (75). Grâce à l’absence de l’article défini en (75), le lexème soleil ne désigne plus (spatialement) un endroit ensoleillé, mais le jour par opposition à la nuit.

Observons finalement l’équivalent de l’exemple (31) en bulgare. On obtient :

  1. Moeto bebe Dusan spi naduzd.

Mon bébé Dusan dort sur pluie

Mon bébé Dusan dort et il pleut.

Bien évidemment, sa contre-partie spatiale est :

  1. Moeto bebe Dusan spi naduzd-A.

Mon bébé Dusan dort sur pluie-le

Mon bébé Dusan dort sous la pluie.

Notes
133.

Je remercie ma collègue Yovka Tisheva de l’Université de Sofia pour son aide.