6.4.4.2 - Prépositions et nature des éventualités

Si la situation en kikuyu n’est pas identique dans le domaine des objets physiques à celle qu’on a observée en serbe, on trouve dans le domaine des phénomènes naturels un isomorphisme pragmatique parfait : notons quand même que le kikuyu exprime la même opposition (éventualité spatialement statique ou dynamique) par des moyens tout à fait différents. Il s’agit de l’opposition entre (i)ni et na. La postposition -(i)ni est utilisée pour dénoter toute localisation spatiale non précise, comme à en français (nyumba-ni — maison-à = à la maison ou Mombatha-ni = à Mombassa). Quant à na, il est équivalent à la préposition française avec et à la conjonction de coordination et (Ted na Marvin = Ted et Marvin).

Donc, au lieu de se baser sur l’opposition existante dans le domaine physique (qui en kikuyu n’est pas claire et nette, comme elle l’est en serbe), le kikuyu trouve une solution différente, et qui n’est pas moins élégante : pour les activité spatialement dynamiques et avec les phénomènes efficaces, on a le choix entre na (avec) et ini (à) :

  1. Ted arahyuka na riua / riua-ini.

Ted court avec soleil / soleil-à

Ted court au soleil.

  1. Marvin arahyuka nambura / mbura-ini.

Marvin court avec pluie / pluie - à

Marvin court sous la pluie.

Rappelons qu’en serbe la préposition po est employée dans les deux cas (Ted trci po suncuMarvin trci po kisi).

Cependant avec les phénomènes non-efficaces seul ini est correct :

  1. Fredarahyuka kiruru-ini/*na kiruru.

Fred court ombre – à.

Fred court dans l’ombre.

Cela nous semble logique car dans le cas activité spatialement dynamique + phénomène efficace, on a une concomitance de deux processus qui progressent parallèlement dans le temps, qui sont donc dynamiques et dirigées au sens spatial du terme (voir Jackendoff, 1991) : l’homme qui court et le soleil qui brille. Dans le cas activité spatialement dynamique + phénomène non-efficace, on n’a pas ce type de parallélisme. Les phénomènes non-efficaces ne se déroulent pas, ils existent tout simplement (ils sont plus proches des conteneurs purement spatiaux et en quelque sorte, atemporels) et on ne peut pas se représenter qu’une activité s’effectue parallèlement à eux.

Passons aux verbes spatialement statiques. Ici seul -ini (postposition locative) est possible :

  1. Ted akomete riua-ini/ *na riua

Ted dort soleil–à/avec soleil

Ted dort au soleil.

  1. Marvin akomete nduma - ini / *na nduna

Marvin dort obscurité–à/avec obscurité

Marvin dort dans l’obscurité.

Cette fois, c’est l’ontologie spatiale du verbe qui exclut l’emploi de na (avec). Par la suite, on verra que la raison en est au fond la même que celle qui empêche les locuteurs serbes d’employer la préposition po dans ce cas (Ted spava na suncu — Marvin spava u mraku). Visiblement, le caractère statique de ce type de verbes les rend incompatibles avec le dynamisme imposé par l’emploi de la préposition na (avec).