6.4.5 - La relation entre le serbe, le bulgare et le kikuyu dans ce domaine

Nous avons observé une situation extrêmement intéressante du point de vue comparatiste : nous avons comparé trois langues dont deux appartiennent à la même sous-famille (il s’agit des langues slaves du Sud) et dont la troisième appartient à une famille très distante géographiquement et typologiquement. Dans ces trois langues, on remarque le besoin d’exprimer la concomitance entre deux processus qu’on considère comme non bornés. Si on ne sait pas où ils commencent et où ils finissent, on ne peut pas stipuler que l’un est inclus dans l’autre et la seule relation qui reste est la coïncidence.

Le serbe et le bulgare sont très similaires du point de vue grammatical et lexical : les locuteurs de ces deux langues arrivent même à communiquer en s’exprimant dans leur propre langue. Leurs systèmes de prépositions spatio-temporelles sont quasiment identiques : les deux langues possèdent l’opposition entre les préposition po et na, basée sur la dichotomie massif-comptable. Cette opposition est une particularité des langues slaves et on ne la trouve dans aucun autre groupe de langues indo-européennes. Dans les deux langues, les deux prépositions en question sont employées non seulement dans le domaine physique mais aussi dans le domaine des phénomènes naturels. On y trouve les mêmes règles d’emploi selon le type de processus exprimé par le prédicat.

Mais contrairement au serbe (et aux autres langues slaves), le bulgare possède l’article défini. Il est à la base d’une différence dans la création de l’interprétation temporelle des compléments de la phrase. En bulgare, la violation de la règle po seulement avec des processus spatialement dynamiques (ce qui crée un sens particulier) est évitée grâce à l’opposition présence/absence d’article. Ainsi, au lieu de jouer sur le conflit entre le sémantisme de po et les verbes statiques, le bulgare joue sur la fonction des articles. Mais il est important de dire que dans le deux cas on obtient la relation de coïncidence. De plus, le lexème en question (dans nos exemples, c’était la pluie) n’est pas actualisé et le présent y est considéré comme non-référentiel.

Passons à la deuxième similarité, celle entre le serbe et le kikuyu : la lecture temporelle y est obtenue grâce à la violation de la règle une préposition donnée à cause de sa nature dynamique ne peut pas être employée avec des verbes spatialement statiques. Le conflit entre le sémantisme de la préposition et la nature statique du processus peut être résolu si on traite le complément comme temporel : on a affaire à deux durées temporelles, la durée du complément et la durée du processus statique.

Mais si ce mécanisme est commun, le choix des prépositions est différent : en serbe, il s’agit des prépositions po et na à la base desquelles se trouve la notion de contact (dans le premier cas le contact est statique, dans le second il est dynamique). En kikuyu, on a le choix entre la postposition -ini qui dénote la localisation en général et la préposition (qui est en même temps une conjonction) na qui, dans le domaine en question, lie deux entités qui sont considérées comme parallèles.