6.5. - L’approche optimaliste

6.5.0 - L’introduction

Etant donné que l’analyse contrastive montre que les autres langues observées (à l’exception du kikuyu) n’explicitent pas linguistiquement l’opposition spatialement statique/spatialement dynamique, on peut se demander pourquoi le serbe a créé un sous-système de prépositions servant à marquer cette opposition. Autrement dit, pourquoi en serbe (et en kikuyu) l’encodage linguistique est-il plus complexe dans ce domaine ?

Il semble que la simplicité — l’économie linguistique —, qui est en conflit avec la tendance à donner des instructions riches et précises, gagne dans les autres langues examinées, mais perde dans le cas du serbe et kikuyu. Ce type de rivalité n’est ni extraordinaire ni limité aux prépositions : on le trouve (comme on l’a vu au chapitre 2) à tous les niveaux linguistiques (phonologie, morphologie, syntaxe, etc). C’est pourquoi nous avons décidé d’appliquer à l’opposition en question le mécanisme de la Théorie de l’Optimalité, présenté au deuxième chapitre. Rappelons que, selon la Théorie de l’Optimalité, le conflit fondamental dans toute grammaire est celui entre la force de marquage (markedness, M) et la force de fidélité (faithfulness, F) : la première (M) dénote la tendance du langage à avoir des structures non-marquées, tandis que la deuxième (F) désigne le besoin opposé, celui de créer des contrastes lexicaux. L’importance de F est claire : afin d’exprimer les contrastes de sens, le langage a besoin de contrastes linguistiquement explicités. L’influence de M peut amener au manque fatal d’oppositions linguistiques. Le rôle de la grammaire est de régler les conflits entre les contraintes, afin de sélectionner l’output le plus optimal et harmonieux. Les conflits sont résolus par le principe de la domination. La domination change selon la langue et selon le cas : parfois c’est M, parfois c’est F qui gagne.

Pour le cas que nous étudions dans ce chapitre, on peut supposer que les critères sémantiques spécifiques donnent des instructions différentes en serbe. Nous les résumons ci-dessous :

  1. Verbes spatialement dynamiques : po
  2. Verbes spatialement statiques : na
  3. Lecture temporelle : poRappelons qu’en bulgare la préposition na est employée même dans le cas de la lecture temporelle.
  4. Phénomènes efficaces : na
  5. Phénomènes non-efficaces : u

Manifestement certaines instructions sont plus fortes que les autres :

  1. L’instruction 1 est plus forte que les instructions 4 et 5, parce qu’avec des verbes spatialement dynamiques on emploie toujours po.
  2. L’instruction 3 est plus forte que l’instruction 2, parce que, dans le cas de la lecture temporelle avec des verbes spatialement statiques on emploie po.
  3. L’instruction 5 est plus forte que l’instruction 2, car pour les phénomènes non-efficaces, avec les verbes spatialement statiques, la préposition u est employée.

A notre avis, les instructions 2, 4 et 5 incarnent la force de marquage, (elles demandent la préposition non-marquée), tandis que les instructions 1 et 3 incarnent la force de fidélité, car elles insistent sur l’usage de la préposition po qui est marquée. Nous aimerions mettre en lumière un élément : nous considérons que la préposition na est non-marquée parce que, en l’absence de tout verbe, c’est na qui est employé. En effet si on veut dire sous la pluie, au soleil, sur la neige, sur le tapis, on utilise toujours na (na kisi, na suncu, na snegu, na tepihu).

Une fois les instructions établies, on peut appliquer à notre phénomène le modèle optimaliste de Lyngfelt (2000) 143 (cf. chapitre 2).

Notes
143.

Rappelons que son modèle a pour le but d’expliquer la différence entre les langues qui tolèrent le dummy subject et les langues qui ne le tolèrent pas.