6.5.4 - La situation dans les autres langues analysées

D’après les résultats que nous avons obtenus, dans toutes les autres langues examinées (sauf le kikuyu, qui se comporte comme le serbe), l’ordonnancement des contraintes est différent : la contrainte de Marquage domine la contrainte de Fidélité. L’output optimal est donc invariable, quelle que soit la nature du processus. Ces langues préfèrent, dans ce domaine, ne pas créer de contraste linguistique. Observons un exemple en français et imaginons que la préposition fictive ex est équivalente à la préposition po :

Tableau 13 : M et F en français
dormir au soleil Contrainte M
(ne pas changer de preposition)
Contrainte F
(créer des contrastes)
 dormir AU soleil   *
dormir EX soleil !*  
Tableau 14 : M et F en français
courir au soleil Contrainte M
(ne pas changer de preposition)
Contrainte F
(créer des contrastes)
 courir AU soleil   *
courir EX soleil !*  

Dans les deux cas, c’est la contrainte F qui est violée, car la violation de la contrainte M serait fatale : il ne faut pas créer de contrastes. Comme la préposition ne change pas, il s’ensuit que ce qui est linguistiquement explicité en serbe (et dans les autres langues slaves) et en kikuyu doit être inféré, dans les autres langues, à partir des informations contextuelles. Cette idée est soutenue par les hypothèses de la théorie de la pertinence (selon Sperber et Wilson, la communication ne peut pas se réduire à un encodage linguistique).

Cependant la force F n’est pas sans fonction ici. Car si elle ne s’opposait pas à la force M, celle-ci produirait un minimalisme maximal : à titre d’exemple on aurait une seule préposition pour la relation de contact et pour la relation de containement. La communication, dans ce cas, dépendrait trop des informations et inférences contextuelles. Quant à l’opposition lecture temporelle/non-temporelle, elle est encodée linguistiquement en français, mais, comme on l’a vu, d’une autre manière : par la proposition subordonnée temporelle. Il serait sans doute trop coûteux, voire absurde, d’exiger que la phrase Mon bébé dort sous la pluie, qui est si clairement physique (le bébé est vraiment sous la pluie, qui tombe sur lui 144 ), ait une autre signification temporelle, où le sens de sous serait complètement modifié. Dans ce cas, le contexte ne suffit pas pour que la lecture temporelle soit inférée : il faut expliciter linguistiquement la signification désirée.

Notes
144.

Rappelons qu’en serbe, dans la phrase avec le verbe dormir et la pluie, le bébé est sur la pluie : Moja beba spava na kisi.