6.7 - Conclusion

Le phénomène de l’emploi spatial et temporel des prépositions po, na et u en serbe (et dans les autres langues slaves) est intéressant pour nous non seulement en tant que phénomène linguistique mais aussi comme un domaine où nous pouvons utiliser l’ontologie spatiale minimale formulée au chapitre 4. Rappelons que nous avons posé que les notions primitives qui se trouvent à la base des prépositions sur et dans ne sont pas respectivement, le support et le contrôle du contenu, mais tout simplement la connexion externe et la R-localisation. Et c’est exactement dans les usages de ces prépositions avec des phénomènes naturels que ces deux relations se justifient. C’est grâce à la simplicité de leur sémantisme qu’on peut les employer pour désigner les relations abstraites entre les processus statiques et les phénomènes naturels.

Quant à la préposition po, elle a sa raison d’être dans une autre opposition fondamentale dans l’ontologie spatiale, l’opposition discret-continu, basée sur la notion primitive de borne. L’image qu’elle donne dans ces emplois spatiaux est le contact dynamique entre une substance continue (qui se répand) et la surface. Bien évidemment, le contact dynamique présuppose le mouvement : c’est pourquoi la préposition po est employée avec des verbes spatialement dynamiques dans le domaine temporel. Par ailleurs, le mouvement est lié à l’idée de continuité et le repos à l’idée de discretion.

Une grande partie de ce chapitre a été consacrée au phénomène de la lecture temporelle. Il ouvre plusieurs questions particulièrement intéressantes pour nous : la double nature ontologique d’entités comme la pluie etl’obscurité ; la différence entre elles et les vrais événements comme l’orage ou l’anniversaire, et la possibilité de faire abstraction de leurs bornes ; le type de relation entre les entités temporelles non-bornées ; le type de changement sémantique effectué à cause de l’emploi de certaines prépositions ou de l’omission de l’article défini, etc.

Il s’est avéré que si on veut classer la relation entre deux durées temporelles parallèles qu’on considère comme non bornées (on ne sait ni quand elles commencent ni quand elles finissent), le candidat idéal est la relation de la localisation générique.

Dans plusieurs langues appartenant aux diverses familles que nous avons examinées, il n’y pas de préposition spécifique pour dénoter cette relation. Mais les langues que nous avons analysées dans ce chapitre arrivent à l’exprimer de façon différente, en s’appuyant toujours sur des oppositions déjà existantes dans le domaine spatial.

Une autre chose est également importante ici : on a vu au chapitre 4 que les emplois temporels des prépositions sont basés sur notre capacité cognitive à schématiser les objet tridimensionnels de ce monde et à les considérer comme points, lignes, etc. (cette capacité est déjà présente dans la plupart de leurs emplois spatiaux). Cela vaut pour les prépositions po, na et u. Cependant, il semble que de leurs divers emplois surgît aussi une autre capacité d’abstraction, celle de considérer les processus spatialement statiques comme atemporels, de faire l’abstraction de leur déroulement dans le temps. Nous supposons que, dans la physique naïve, le repos atemporel est quelque chose d’acceptable. Or c’est, comme on l’a montré, impossible avec les processus spatialement dynamiques : ils décrivent le mouvement dans l’espace et le mouvement sans le passage du temps est inconcevable.

Enfin, une autre conclusion très importante ressort de toute cette discussion sur po, na et u. Dans certaines langues (les langues slaves, le kikuyu et bien probablement d’autres langues que nous n’avons pas examinées dans cette thèse), l’opposition massif/comptable (discret/continu)est plus pertinente (car elle est linguistiquement exprimée par des paires de prépositions) que l’opposition espace/temps (dans les deux domaines, on utilise les mêmes prépositions). A notre avis, c’est la conséquence du fait que la première opposition (massif/comptable) est conceptuellement plus primitive que la deuxième (espace/temps). De plus, selon l’hypothèse de la localisation, la notion du temps est conceptuellement développée à partir de celle de l’espace, en d’autres termes l’espace est le primitif pour le temps. Mais la même hiérarchie n’existe pas entre massif et comptable, qui ont tous deux le même rang conceptuel.