7.2.1.2 - Sous

Observons les exemples de notre corpus :

  1. Il s’agissait d’un tapissier luthérien devenu fou, sous Louis XIII, par terreurs religieuses. (Contes Cruels, Auguste de Villiers de L’Isle-Adam)
  2. Il meurt sous Tibère. (Histoire Romaine, Jules Michelet)
  3. Mon lieutenant, dit à Augustina le soldat qui le suivait, sous peu il va pleuvoir.( Le désert des Tartares, Dino Buzzati)
  4. Seule restait sa mère, mais elle aussi devait sous peu sortir. (Le désert des Tartares, Dino Buzzati)
  5. J’eus besoin de m’en servir à l’époque où la noblesse française émigra en foule, nous menaçant de rentrer sous peu de jours à la Condé. (Le Notaire de Chantilly, Léon Gozlan)
  6. Elle paraissait s’oublier elle-même sous l’invincible charme de cette musique. (Contes Cruels, Auguste de Villiers de L’Isle-Adam)
  7. Les miracles du génie individuel se classent sous la loi commune. (Histoire Romaine, Jules Michelet)
  8. Et quand je me réveille sous cette impression funèbre... (Le parfum de la Dame en Noir, Gaston Leroux)

Comme on le voit, on y trouve deux types d’emploi temporel ainsi que plusieurs autres emplois abstraits que nous ne commenterons pas 159 .

Le premier type d’emploi est représenté par les exemples (70) et (71). Le complément de sous y est le nom propre d’un gouverneur (roi, empereur, président etc.), le nom d’un empire (sous l’ancienne Rome), d’un royaume ou d’une organisation politique équivalente. Ces emplois donnent généralement l’idée d’une force (du site) exercée sur la cible. Cela est plus clair dans le cas de sous le règne de x, où le mot règne explicite l’idée de force et l’idée d’époque. En l’absence de cette notion, elle doit être inférée. La question est comment ?

Nous supposons que les expressions telles que Louis XIII et Tibère contiennent dans leurs qualia la notion de règne ou de gouvernement et c’est pourquoi on peut les entendre comme sous le règne de Louis XII ; sous le règne de Tibère. Mais on n’a pas ici de changement de type syntaxique (SN ne devient pas SV) et on ne peut pas considérer les exemples en question comme des cas de coercion.

Quant à l’idée de force, elle est dans une certaine mesure analogue dans des exemples comme sous la pluie, sous les bombes, sous les coups, où la force est réellement physique.

Notons enfin qu’à notre avis, ce type d’usage ne devrait pas être considéré comme strictement temporel : l’idée de l’écoulement de temps y est secondaire. La preuve en est que dans ce type d’exemple sous peut être remplacé par pendant 160 (pendant le règne de Louis XIII). Or, cela ne vaut pas dans l’autre sens : pendant les vacances = * sous les vacances ; pendant l’été = * sous l’été. On en conclut, donc, que, pour qu’on puisse employer sous avec des entités ayant une composante temporelle, il faut que celles-ci donnent aussi une idée de la relation de domination/force. Notre hypothèse est que dans ce cas on n’a pas seulement un usage temporel ordinaire (expliqué par les relations thématiques de Jackendoff, 1985), mais un usage vraiment métaphorique 161 .

Mais comment lier les usages de ‘«’ ‘ force » ’et les usages spatiaux ? Ici la notion d’ordre sur l’axe vertical et de contact ne suffisent pas. Il nous faut la notion de support issue de la physique naïve. Si A est sous B et qu’il y a contact entre eux, A supporte B et B exerce une sorte de pression (force) sur A.

Observons maintenant l’expression sous peu. Il s’agit d’une expression figée qui signifie bientôt. En d’autres termes, elle exprime la postériorité immédiate au moment de la parole. Comment expliquer cet usage de sous ? Pourquoi dans ce cas n’emploie-t-on pas la préposition dans, qui est utilisée pour exprimer la postériorité si S est égale à R ? Pourquoi ne peut-on pas dire dans peu comme on peut dire dans peu de temps ?Probablement parce que, dans le cas de peu, le complément n’est qu’un adverbe de quantité et que le sens temporel doit être inféré. Il semble que le système linguistique ait besoin de marquer cela et pour cela, il a recours à une autre préposition qui existe déjà, à savoir sous. Si on se souvient des principes de la Théorie de l’Optimalité, on comprend que, dans ce cas, il serait inutile et trop coûteux d’inventer une nouvelle préposition (par exemple sapous) dont le seul emploi serait celui-ci. C’est donc la force de marquage qui gagne ici. Cependant cela ne résout pas notre problème. Pourquoi sous et non sur, par exemple ? La seule réponse possible est que sous convient à cause de son trait : le site exerce une sorte de force sur sa cible.

Notes
159.

Comme nous l’avons déjà indiqué, nous ne traitons pas dans cette thèse les usages abstraits non temporels.

160.

Mais, uniquement si la notion de règne est explicitée.

161.

Sur la différence entre les relations thématiques et les métaphores, voir le travail de Jackendoff (1985) présenté dans notre chapitre 1.