7.2.5 - Les préposition devant et derrière

7.2.5.1 - La perspective diachronique

Dans le cinquième chapitre de notre thèse, qui traite les usages canoniques des prépositions spatiales, temporelles et spatio-temporelles, nous avons analysé les prépositions avant et après. Nous avons vu qu’elles ont des usages temporels et spatiaux et que, dans ces derniers, ils sont en concurrence avec les prépositions devant et derrière. Nous avons expliqué pourquoi, même dans ces cas, ces deux paires de prépositions ne sont pas tout à fait synonymes : en effet, elles décrivent des aspects différents de la même situation. En même temps, on a vu qu’en français, dans le domaine temporel, on utilise obligatoirement et exclusivement les prépositions avant et après. Les prépositions devant et derrière fonctionnent uniquement dans le domaine spatial, avec des objets concrets.

Cependant, il se trouve que dans le cas des autres langues sur lesquelles nous travaillons dans cette thèse, la situation est différente, ce qui est d’ailleurs, diachroniquement, vrai aussi pour l’ancien français. Examinons donc les prépositions en question dans la perspective diachronique du français. Ces données seront très utiles pour l’analyse contrastive.

Commençons avec le latin. En latin on a deux prépositions spatio-temporelles : ante qui signifie devant ou avant, et post qui signifie derrière, après et depuis. En voici quelques exemples :

  1. Ante occulos ponere.

Placer devant les yeux.

  1. Perponus ante mortem debus.

Très peu de jours avant sa mort.

  1. Ante Romam conditam.

Avant la fondation de Rome.

  1. Post urbem.

Derrière la ville.

  1. Post illud bellum.

Depuis cette guerre.

  1. Sexennio post Veios captos.

Six ans après la prise de V.

Mais on y trouve aussi prae qui est une préposition spatio-temporelle et qui est plus souvent utilisée en latin que ante pour les relations spatiales :

  1. Prae urbem.

Devant la ville.

  1. Prae mortem

Avant la mort.

Finalement, la préposition retro (derrière), purement spatiale, est à l’origine de la préposition derrière en français moderne. En effet, cette dernière est obtenue par l’agglutination de deux mots : de + retro. Notons que de-retro a remplacé post qui, en latin vulgaire, n’a survécu que comme adverbe de temps et qui a donné l’adverbe puis.

Devant est aussi obtenu par l’agglutination de deux mots : de + ante, et il avait un sens spatio-temporel jusqu’au XVIIe siècle (on voit cet emploi encore aujourd’hui dans les expressions : Rester Gros Jean comme devant ou Chanter devant le coq). En voici un exemple de La Fontaine :

  1. On le faisait lever devant l’aurore (La Fontaine, Fables, VI, II ; tiré de Grevisse, 1964, 924)

Dans son sens spatial, devant signifiait d’abord en face de, le côté visible d’une chose.

Avant est dérivé du mot latin ante et au commencement signifiait devant et avant.

Enfin, après, qui a remplacé post, est obtenu par l’agglutination de ad et pressum (un participe qui signifie serré), qui a aussi donné auprès (qui est purement spatial, pensons au ver : Auprès de ma Blonde, qu’il fait bon, fait bon, fait bon). On a donc le passage conceptuel de l’idée de proximité à celle de postériorité.

En somme, on peut observer une tendance de l’ancien français à créer des lexèmes autonomes pour le temps et l’espace : ainsi les sens de devant et avant se sont autonomisés et la préposition derrière est restée purement spatiale. Quant à après, il a remplacé post.