7.4 - En guise de conclusion

Le chapitre 7 se termine sur cette analyse. Dans le chapitre suivant, nous continuerons la revue des usages non-standard des prépositions, mais nous aborderons aussi les usages non-standard des expressions déictiques. C’est alors que nous aurons les moyens de proposer une conclusion finale.

Pour le moment, on peut dire que notre première hypothèse selon laquelle les prépositions temporelles ne peuvent pas avoir des vrais usages spatiaux s’est avérée juste. Ainsi, les prépositions au moment de et lors de ne sont jamais employées avec des termes spatiaux. Et même si avec pendant on trouve des compléments explicitement spatiaux, on ne peut pas dire qu’il s’agit de vrais usages spatiaux de cette préposition. Il s’agit d’usages temporels où le temps est mesuré par la distance parcourue. On a vu aussi que ce phénomène ne peut pas être considéré comme un cas de coercion. La seule conclusion possible est que les compléments spatiaux obtiennent l’interprétation temporelle. L’interprétation spatiale est inconsistante avec le sémantisme de la préposition pendant (durant)et cela à cause de la notion de durée d’intervalle borné qui n’existe pas dans le domaine de l’espace. D’ailleurs, pour les relations de containement entre les objets physiques,on a déjà la préposition dans. Elle convient bien pour les objets uni-, bi- et tridimensionnels.

Notre deuxième hypothèse était que les prépositions spatiales, grâce a leur nature méréotopologique, peuvent (si le système linguistique en a besoin) avoir des usages temporels. Elle s’est aussi avérée juste, notamment pour certaines langues. Grâce au trait de contact qui est à la base de la préposition on (en anglais) (ou na en serbe), celle-ci peut être facilement utilisée dans le domaine temporel. C’est surtout fréquent dans le cas des langues qui n’ont pas de prépositions à sémantisme vide (comme à ou en en français) : le contact entre deux entités temporelles veut tout simplement dire qu’elles sont en relation, sans préciser le type spécifique de cette relation.

Nous avons consacré une grande partie de ce chapitre à l’analyse du phénomène de l’usage temporel des prépositions devant et derrière. D’après notre analyse des langues choisies, on peut parler de cinq types différents de représentation linguistique de la relation antériorité-postériorité. D’un côté on a des langues (comme le français moderne) dans lesquelles les prépositions spatiales n’ont pas d’emplois temporels et partant, on a des prépositions spécialisées pour ce domaine (le système 2+2). De l’autre côté, on a des langues (comme le kikuyu) qui ont deux prépositions qui couvrent tous ces emplois. Entre ces deux situations  ‘»’ ‘ extrêmes »’, on a des cas mixtes où une ou deux prépositions spatiales peuvent être employées dans le domaine temporel.

Il convient ici de souligner que notre analyse n’est pas seulement pertinente dans le domaine linguistique. Conceptuellement, elle a prouvé autre chose : l’hypothèse relativiste que des langues (et des cultures) diffèrent selon la direction temporelle qu’elles favorisent n’est qu’un mythe. En effet, si une langue n’a que deux prépositions qui couvrent tous les usages de devant, avant, derrière et après, cela ne signifie pas que ses locuteurs ont une perception du temps différente de celle qui existe chez les locuteurs du français. La structure de ce sous-système de prépositions est explicable par les mécanismes de la Théorie de l’Optimalité, à savoir par la prédominance de la force de fidélité ou de la force de marquage et non par les différences dans les structures conceptuelles. D’autre part, toutes les langues examinées offrent des exemples pour les deux types de métaphore lakoffienne : je bouge et le temps bouge.

Finalement, l’emploi non-standard de la préposition spatio-temporelle dans (pour dénoter la postériorité par rapport au moment de la parole) s’explique par plusieurs facteurs : son sémantisme reste valable même si l’éventualité-cible n’est concomitante qu’avec la borne droite du site. Elle s’explique aussi par le besoin du système linguistique de marquer l’opposition S=R ou S≠R (besoin motivé par la force de fidélité) sans créer une nouvelle préposition – en utilisant ce qu’il y a déjà dans le lexique (sous l’influence de la force de marquage).