8.1.1 - La préposition pour

Commençons avec la préposition pour déjà présentée au chapitre 7 (pendant vs pour temporel). Nous donnons, tout d’abord, la liste de ses sens principaux selon les dictionnaires (Larousse, Robert) et les grammaires (Le Bon Usage ; Grand Larousse de la Langue Française - GLLF) :

  1. Avec le complément spatial, la direction : le train pour Lyon ; partir pour l’Espagne, etc.
  2. Avec le complément temporel, marque le terme d’un délai ou la durée : pour la semaine prochaine, pour dans huit jours/pour toujours. Nous y reviendrons par la suite.
  3. La personne intéressée directement : un film pour enfants, du lait pour bébé.
  4. Le but, la destination : faire quelque chose pour le plaisir, pour la gloire ; un médicament pourDans ce sens pour est équivalent à contre. la grippe, un cadeau pour l’anniversaire.
  5. La cause : L’hôtel est fermé pour réparation ; Il a été puni pour paresse.
  6. L’opposition, la concession : Pour un étranger il parle très bien le swahili.
  7. Avec les pronoms personnels, le point de vue : Pour moi, c’est une chose ordinaire.

Manifestement, ce sont les usages 1 et 2 qui nous intéressent. Plus précisément, nous aimerions voir s’ils sont liés. Observons d’abord les exemples du corpus :

  • pour pour la direction :
  1. Tout à coup le télégraphe vous ordonne de vous embarquer pour Alger. (Le Notaire de Chantilly, Léon Gozlan)
  2. On parlait déjà du départ du roi pour Metz. (Le Notaire de Chantilly, Léon Gozlan)
  • pour temporel
  1. Je crois vous avoir guérir pour toujours du désir de vous immiscer dans les affaires de votre mari. (Le Notaire de Chantilly, Léon Gozlan)
  2. Deux moyens me restent : la tuer et m’exiler pour jamais de la France. (Le Notaire de Chantilly, Léon Gozlan)
  3. Les consuls ont encore la plénitude de la puissance, mais pour un an et ils sont deux. (Histoire Romaine, Jules Michelet)
  4. Il s’était donné pour cinq ans les deux Gaules et l’Illyrie. (Histoire Romaine, Jules Michelet)
  5. Il avait des vivres pour trente jours. (Histoire Romaine, J. Michelet)
  6. Il souhaite que vous receviez pour l’année à venir toute la joie et le bonheur qui puissent exister. (Le Monde, 1998)
  7. N’étiez vous pas ici pour le semestre ? (Le Notaire de Chantilly, Léon Gozlan)
  8. Toutes les mesures furent prises et le coup arrêté pour le dimanche suivant, qui était le 24 février. (Récit des temps Mérovingiens, Augustin Thierry)
  9. Il prépare le bac pour juin. (Le Monde, 1998)
  10. Cicéro, l’ami de Pompé, éleva pour quelque temps cet indigne favori de la fortune à une puissance dont il ne sût comment user. (Histoire Romaine, Jules Michelet)
  11. Les portes furent ensuite fermées pour toute la durée du repas. (Le Notaire de Chantilly, Léon Gozlan)
  12. Alors que son homologue nantais se limite, pour l’instant, à la seule collecte, il... (Le Monde, 1998)

Les dictionnaires et les grammaires ne s’arrêtent pas beaucoup sur son emploi temporel. Ils disent, tout simplement, qu’il y en a deux, à savoir le terme d’un délai (un moment) ou la durée (une période). D’après ces exemples, nous pouvons quand même distinguer trois emplois de pour temporel :

  1. Celui dont on a déjà parlé au chapitre 7 : pour pour le futur (par rapport à S ou à un autre moment dans le passé). Son régime est une période dans laquelle doit s’accomplir une éventualité. Dans cet usage, pour est équivalent à pendant dont la borne droite n’est pas actualisée (3)-(9).
  2. Pour avec un instant dans le futur (10). Notons que même en (11) il ne s’agit pas de la période mais que le bac aura lieu à un moment quelconque en juin. Cet usage est lié au sens 4, à savoir but, destination.
  3. Pour avec une période ; dans ce cas, il semble équivalent à pendant (12)-(14). La cible (ici la proposition temporelle) occupe toute la durée du site.

La question que nous nous posons est de savoir si l’origine de ces usages temporels se trouve dans leur usage spatial de direction. La réponse est positive. En effet, dans le cas de partir pour Paris,on a un mouvement horizontal vers le site (Paris) et dans pour trois jours, pour cinq ans, l’éventualité s’étend jusqu’à la fin d’une période (on peut aussi imaginer le mouvement sur l’axe temporel). Il est important de comprendre que dans les deux cas le parcours n’est pas accompli, à savoir actualisé : on peut partir pour Paris et n’y arriver jamais comme on peut partir pour trois jours et rentrer immédiatement. Donc on a effectivement la même chose qu’avec la préposition spatio-temporelle vers :les deux sont basé sur le trait directionnalité et le sens du mouvement est défini par la position du site. Dans les deux cas, le mouvement devrait aboutir au contact, mais cela n’est pas encore réalisé.

Ajoutons que dans le cas de partir pour toujours,on a un mouvement vers l’infini: l’implication de cette phrase est qu’on est parti sans l’idée de retour. L’analogie spatiale serait partir pour/vers l’infini.

Mais qu’en est-il avec des exemples où on a pour avec un moment, comme dans préparer l’examen pour le 15 juin ? A notre avis, cet usage n’est pas lié à l’usage spatial de cette préposition, mais plutôt à l’usage but-destination. C’est plus évident (et plus juste) dans le cas des exemples du type préparer le gâteau pour l’anniversaire, où l’anniversaire est une entité temporelle, mais où, grâce aux qualia (voir le chapitre 2) des deux lexèmes on peut établir des relations entre eux qui ne sont pas seulement temporelles (je prépare un gâteau pour qu’il soit servi à la fête d’anniversaire).

Il nous reste à expliquer l’usage de pour où il semble équivalent à pendant. Cela est illustré par les exemples (12), (13) et (14). Notons qu’en (12) et (13), le temps verbal employé est le passé simpleet non l’imparfait, qui convient aspectuellement mieux à pendant. A notre avis, on a ici aussi l’idée de finalité.

Quant à l’exemple (14), il s’agit de la locution pour l’instant. L’emploi de pour est justifié par deux choses : il s’agit d’une entité temporelle minimale (un instant) et il y a contraste — la situation dénotée par le prédicat est valable seulement pendant cet instant et elle sera différente après. Observons un exemple typique :

  1. Pour l’instant nous sommes trois dans cette maison, mais bientôt nous serons dix.