8.1.2 - La préposition par

Voici, d’après les dictionnaires et les grammaires, ses usages principaux :

  1. L’agent : Il a été choisi par l’assemblée. Il a fait peindre le mur par ses enfants
  2. Le moyen, la manière, la cause, le mobile : Il a été averti par votre lettre. Je l’ai su par l’internet. La mort par le poison. Elle s’est imposée par son caractère. Il me tient par le bras. J’ai fait cela par pitié/par bêtiseVoici un très joli exemple de par comme moyen et cause, tiré du corpus SILFIDE : Ici, le printemps est délicieux par ses eaux. (Le Notaire de Chantilly, Léon Gozlan).
  3. La distribution : Je lui écris plusieurs fois par semaine. La voiture dépense dix litres par km. Entrez deux par deuxA cela est lié l’usage archaïque de répétition : Le père respira par trois fois, profondément (R. Kemp, La vie de théâtre, Grevisse, 1964, 877)..
  4. Le lieu et les circonstances de temps :
    1. Le lieu où se fait le passage : Nous passerons par Macon. Il passe par notre chambre. Voyager par terre, par mer, par voie aérienne. Le lieu peut aussi être abstrait : Une idée lui est passée par l’esprit.
    2. La position ou le milieu où se situe une action : Aborder par le flanc. Être assis par terre.
    3. Les circonstances dans lesquelles se déroule une action : Il se promène par cette température glaciale ; par une belle matinée de printemps ; par mauvais temps, par temps de brouillard ; sortir par dix degrés.

Voici les exemples de son usage spatial et temporel tirés du corpus :

  1. Et par une allée bien sablée du jardin, il se rendit au corps de logis. (Le Notaire de Chantilly, Léon Gozlan)
  2. ... et ces rochers venus de Fontainebleau par Paris à dos de mulets. (Le Notaire de Chantilly, Léon Gozlan)
  3. Ensuite elle se dirigea, par la route de Poitiers et de Tours, vers la cité de Rouen. (Récit des temps Mérovingiens, Augustin Thierry)
  4. Il prit le chemin du midi par la route la plus sûre. (Récit des temps Mérovingiens, Augustin Thierry)
  5. Ah ! On est très curieusement bête quand on se trouve, par une nuit lunaire, derrière un figuier de Barbarie... (Le parfum de la Dame en Noir, Gaston Leroux)
  6. Le voici, arrogant et insouciant, sur les glacis, par une nuit pure et glaciale. (Le désert des Tartares, Dino Buzzati)
  7. Le vieux vagabond va mourir, par une nuit d’hiver, laissant son sac à nouvelle. (Le Monde, 1998)
  8. On ne combat pas pour repartir, couronné de fleurs, par un matin de soleil, au milieu des joies des jeunes filles. (Le désert des Tartares, Dino Buzzati)

A notre avis, l’usage spatial de par est lié à son usage moyen-manière. Les compléments introduits avec par ne servent souvent pas seulement à localiser le passage mais aussi (comme en (16)) à décrire le type de passage, les conditions (les phénomènes naturels ; voir le chapitre 6) dans lesquelles il s’est effectué. L’usage temporel de par est sans aucun doute lié à cela. Comme on le voit dans les exemples, le complément de par temporel est toujours (obligatoirement) suivi d’épithètes 192 . Donc, on ne situe pas seulement l’éventualité dans un site temporel mais, en décrivant ce site, on donne aussi les circonstances dans lesquelles elle s’effectue. On peut ici très facilement faire le parallèle avec les différents usages des prépositions po et na en serbe, prépositions auxquelles nous avons consacré le chapitre 6. Comme nous l’avons montré, po et na sont employés non seulement avec des sites spatiaux mais aussi avec des phénomènes naturels qui ont une durée temporelle.

Notons que dans son usage temporel par joue les deux rôles de na et de po en serbe. C’est évident si l’on observe les verbes employés dans les exemples ci-dessus, i.e. se trouver, mourir, repartir ((21) est une phrase adverbiale avec voici) : on voit que ce ne sont pas tous des verbes spatialement dynamiques et ils ne donnent pas toujours l’idée de passage, laquelle est par ailleurs présente dans par spatial.

Une autre question surgit ici : quel trait primitif (spatio-temporel) de par rend-t-il ces usages possibles ? Nous pensons qu’il s’agit du trait contact qui doit exister dans tous ces cas ; de plus, dans l’usage temporel de par, on aperçoit obligatoirement le trait dynamique-directionnalité :il s’agit toujours de la cible en mouvement. La même chose vaut pour la préposition serbe po.

Nous allons terminer l’analyse de par en mettant en relief encore une chose : il semble que dans certains cas on peut se passer de cette préposition. Nous reproduisons l’exemple (22) cette fois sans par :

  1. Le vieux vagabond va mourir, une nuit d’hiver, laissant son sac à nouvelle.

Comme on l’a vu jusqu’à présent, si on rend une structure linguistique plus complexe, c’est pour créer des effets supplémentaires. Ici, il s’agit d’un effet qu’on peut décrire comme rendre une entité temporelle plus physique, moins abstraite. Plus précisément, avec par le complément temporel devient plus palpable, il cesse d’être une entité purement temporelle et devient un phénomène naturel qui agit sur l’homme physiquement ou psychologiquement. C’est cette capacité de décrire les conditions physiques/atmosphériques dans lesquelles s’effectuent les processus (et non dans le sens de passage) qui unit par spatial et par temporel. Répétons-le encore une fois, le trait de contact est obligatoire dans les deux cas.

Notes
192.

D’où l’effet poétique qu’on sent dans ces phrases.