8.2.2.2 - Les prépositions

Passons maintenant aux prépositions spatiales. On a vu que certaines prépositions temporelles explicitent l’opposition S=R et S≠R (par exemple, après vs dans). Nous allons maintenant effectuer le même test sur une préposition spatiale dont le sens est à la base du sens d’après (voir le chapitre 5), à savoir la préposition derrière.

  1. Kolja est devant moi. (S = R)
  2. Kolja est devant la maison. (S≠R)

Dans le premier exemple, le site de la préposition est identique à l’endroit où se trouve le locuteur-moi (S=R) ; dans le deuxième, le site de la préposition est ailleurs (la maison) (S≠R). Il est clair que, dans le domaine des prépositions spatiales, cette opposition n’est pas explicitée. Et même si on essaie avec d’autres prépositions spatiales, la réponse est toujours négative.

Toutes les autres langues que nous avons analysées donnent le même résultat. En anglais, on emploie dans les deux cas in front of, en serbe ispred, en swahili mbele ya, en kikuyu mbere, en louo njime, en japonais mae ni et en arabe amem.

Essayons de comprendre pourquoi cette opposition n’est pas marquée dans ce domaine. Nous avons vu aux chapitres précédents que dans le cas de devant – derrière l’axe et l’ordre sur l’axe sont déterminés par le cadre de référence choisi. Selon certains auteurs, il y a trois différents cadres de références (absolu, intrinsèque et relatif-anthropocentrique) et selon Jackendoff il y en a huit (cf. chapitre 4). Il serait vraiment trop coûteux de marquer par des prépositions différents le cadre auquel on se réfère. On aboutirait à un système des prépositions spatiales inutilement complexe et riche.

Ajoutons encore une fois, que, dans le cas des prépositions, on peut se demander si ce sont des expressions purement ou absolument procédurales, ou plutôt procéduro-conceptuelles. Car, si elles indiquent des procédures, ces procédures sont basées sur des concepts spatiaux, temporels ou spatio-temporels, dont ne nous citons que quelques-uns : contact, support, direction, proximité, containement, antériorité, posteriorité, etc.

L’existence ou l’absence des concepts sous-jacents, est d’ailleurs à la base de l’opposition entre les prépositions non-vides (derrière, sur, après) et les prépositions vides (à, de, en). En somme, il apparaît que la distinction théorique procédural/conceptuel, qui est tout à fait nette et logique, présente en réalité, dans le cas des expressions linguistiques, un continuum : on a des expressions purement conceptuelles (des noms comme enfant, ou des verbes comme danser), des expressions purement procédurales (des articles, ou je, des prépositions vides : à, de ), des expressions conceptuelles qui ont des éléments procéduraux (comme les verbes aller, venir) et des expressions procédurales qui sont basées sur des notions conceptuelles (des prépositions comme devant, derrière, après, avant).