8.3.1 - Sur les déictiques

Disons d’abord quelques mots des déictiques. En tant que termes dépourvus de référence virtuelle 206 et d’autonomie référentielle 207 , les déictiques forment une catégorie linguistique à part. Autrement dit, à la différence des expressions possédant un contenu lexical (comme enfant, fleur, parler, heureuse), les déictiques sont non-saturés sémantiquement. Cela signifie que l’interlocuteur est obligé de chercher le supplément d’information ailleurs, à savoir dans la situation de communication. Les déictiques ne peuvent donc être interprétés que relativement aux positions de locuteur et De L’interlocuteur (Moeschler, Reboul, 1994, 351).

Habituellement, on en distingue trois types, selon le type d’instructions qui leur sont attachées : personnels, spatiaux et temporels. Dans le cas des premiers, il faut chercher le référent parmi les personnes présentes (ou absentes) dans la situation communicative (moi, toi, nous, elle etc.) ; dans le cas des deuxièmes, le référent est lié à l’endroit où le locuteur et/ou l’interlocuteur se trouve(nt) (ici ou ) ; et enfin, dans le cas des troisièmes, la référence porte sur le moment de la parole ou sur un autre moment qu’on doit calculer à partir de celui-ci (maintenant, aujourd’hui, hier).

Il faut noter que, dans le cas des déictiques spatiaux et temporels, la référence est assez vague et peut varier selon l’intention du locuteur. Ceci dit, ici peut designer un point spatial précis (85) ou une région très vaste (86) :

  1. Pose ce crayon ici.
  2. Ici, (en Afrique) il n’y a pas de tigres. Ils vivent en Asie.

De même, maintenant peut désigner le moment même où j’écris cette phrase (87) ou un laps de temps étendu (88) :

  1. Maintenant je dois partir.
  2. Maintenant, grâce aux pluies, il n’y a plus de coupures d’électricité à Nairobi.

Comment peut-on définir les déictiques en se servant de la base théorique présentée au chapitre 4 ? Bien évidemment, pour les définir nous n’avons pas besoin des prédicats méréotopologiques, mais de la relation de localisation exacte : Lxy. Cette relation est à la base de la Théorie de localisation (qui part du fait que les objets sont situés dans l’espace) et elle doit être traité comme un primitif. Dans le cas des déictiques, x, le premier élément de la relation (la cible) peut être n’importe quelle entité dont la localisation est inconnue alors que le deuxième élément, y (le site) n’est pas un objet mais une localisation définie par rapport au locuteur : quand on dit x est ici/là, l’interlocuteur va localiser x dans y qui est lui-même localisé par rapport au locuteur. Mais il est important de souligner que pour comprendre x est ici/là,on doit se baser sur le contexte au sens pragmatique du terme (voir le chapitre 2) : on comprend cet énoncé grâce aux explicitations. Rappelons que selon Sperber & Wilson (1986) les explicitations sont des hypothèses que l’on obtient de l’énoncé lorsqu’on développe sa forme logique.

La situation est Donc partiellement différente de celle qu’on a avec les prépositions. Dans a est PREPOSITION b, b est un objet dont la localisation spatiale est connue. Le rôle de la préposition est de donner une instruction sur comment établir la position de a par rapport à b. Dans a est b (déictique spatial), b n’est pas un objet mais une instruction indiquant où localiser a.

Notes
206.

On attribue un référent à un terme référentiel sur la base de la signification lexicale de ce terme. On parle de la référence actuelle pour désigner le référent du terme et de référence virtuelle pour désigner sa signification lexicale (Moeschler & Reboul, 1994, 350).

207.

Ce terme est appliqué aux expressions référentielles qui, du seul fait de leur signification lexicale, réussissent à se déterminer, au moins en principe, un référent, lorsqu’elles sont utilisées dans une phrase (Moeschler & Reboul, 1994, 524).