Nous partons d’une phrase dont un locuteur du swahili s’est servi pour raconter ce qu’il lui est arrivé avant la veille (Asic & Amisi, 2002):
Avant-hier je-MTA-boire café à maison ici je-MTA-entendre bruits dehors
Avant-hier, je bois du café à la maison, lorsque j’entends du bruit dehors.
Comme le montre la traduction mot à mot, dans cet exemple, au lieu d’employer la subordonnée temporelle (comme dans la phrase française), le locuteur a formulé deux phrases indépendantes connectées avec hapa (ici). Donc, on a un déictique spatial qui sert à représenter une relation temporelle. Notons aussi que, dans (94), le présent est employé de façon interprétative, pour désigner le passé (sur les usages interprétatifs des temps verbaux voir le chapitre 2).
Disons tout de suite qu’un tel emploi d’ici serait difficile en français :
En fait, en français, dans la première phrase, on aurait plus naturellement l’imparfait :
Cependant, cette phrase est beaucoup moins courante et usuelle en français que ne l’est la phrase avec hapa en swahili. Afin de mieux saisir le problème, nous allons examiner d’abord une première traduction française de notre exemple (94). La phrase que nous avons en français est un cas du phénomène syntaxique qu’on appelle la subordination inverse. On parle de subordination inverse lorsque la deuxième proposition, subordonnée par quand / lorsque, contient la prédication de la phrase (l’information qu’elle apporte) 209 . En voici deux autres exemples tirés de la littérature française 210 :
Il est clair que c’est la proposition principale et non la proposition temporelle qui a pour fonction de situer dans le temps le procès prédiqué. En fait les phrases canoniques seraient :
Notons aussi qu’on pourrait très bien avoir ici dans les deux cas, avec le changement de temps verbal dans la deuxième phrase :
Quelle est la fonction de la subordination inverse ? La phrase introduite par les conjonctions quand ou lorsque contient l’événement focalisé, son rôle est d’attirer l’attention du lecteur sur cet événement (en plus, on a très souvent devant une telle proposition un adverbe comme tout à coup, ce qui est le cas dans le deuxième exemple). Dans la théorie de la pertinence (Sperber & Wilson, 1986), on dirait que c’est l’information donnée par la subordonnée qui est pertinente, qui compte pour le lecteur. On verra que cette idée est très importante dans notre analyse.
Il convient d’observer encore une chose ici : la nature des éventualités représentées dans les exemples. Il est clair que, dans les trois exemples, on a une activité dans la première phrase (boire, découper, servir) et un achèvement (entendre, lever, commencer) dans la deuxième. Disons aussi que hapa ne peut être employé à la tête de la première phrase (dans ce cas on aurait en français la subordination ordinaire‘’ ‘«’ ‘ non inverse »’) :
Cependant il convient de dire ici que les puristes du swahili ne sont pas contents de la phrase avec hapa temporel. Selon eux, une phrase absolument correcte et bien formée stylistiquement serait :
Avant-hier je-p 211 -quand-être je-boire café je-p-entendre bruit dehors
Avant-hier, quand je buvais du café, j’ai entendu du bruit venant de dehors.
On y emploie l’adverbe quand représenté en swahili par le morphème po. La forme composée nilipokuwa nikunywa est équivalente à ‘«’ ‘ quand + imparfait »’ (quand je buvais). Cependant, la phrase dont le sens et les effets sont les plus proches de (94) est la phrase avec l’adverbe soudain.
Avant-hier je-MTA-boire café maison-à. Soudain je-MTA-entendre bruits dehors
Avant-hier, je bois du café. Soudain, j’entends du bruit dehors.
Voir GLLF p. 5590.
Les exemples tirés de GLLF ; idem.
p signifie passé.