8.3.3.2 - Hapa et l’usage interprétatif du présent

Dans cette thèse, on a déjà à plusieurs reprises parlé de l’usage interprétatif des prépositions, des adverbes déictiques et des temps verbaux. Examinons les effets du présent employé interprétativement que Kang’ethe (1999) appelle le présent cinématographique :

  1. Pavle vise : son visage s’allonge, l’œil droit descend le canon, se pose sur le point de mire et cherche le cœur de l’Allemand courbé (…) Le doigt sur la détente tire tout seul : détonation. L’Allemand tombe lentementIl s’agit de la traduction d’un passage tiré d’un roman serbe, qui est à notre avis un excellent exemple du présent interprétatif cinématographique.. (Cosic, Le Soleil est loin. Nous traduisons)
‘« Le présent (narratif) crée ici un effet que nous qualifions de cinématographique, car il invite l’interlocuteur à être témoin du déroulement de l’éventualité. Il est clair que, au cinéma, les événements, fictifs bien évidemment, qui défilent devant l’écran créent l’illusion que tout se passe hic et nunc. » (Kang’ethe, 1999, 13)’

Donc il y a obligatoirement quelqu’un, un sujet de conscience, qui assiste à l’éventualité et le décrit. Mais quel est le rapport entre le présent narratif et l’emploi temporel du déictique spatial ? Nous pensons que, dans le cas de l’exemple (107), l’emploi du présent cinématographique s’accorde parfaitement avec le fait que le narrateur, afin d’attirer l’attention du lecteur, se sert de la construction avec hapa, dont le rôle est de focaliser.

  1. Juzi, ni-na-kunywa kahawa nuimbani, hapa ni-na-sikia makelele inje.

Avant-hier je-MTA-boire café à maison ici je-MTA-entendre bruits dehors

Avant-hier, je bois du café à la maison, lorsque j’entends du bruit dehors.

Il faut tout de même ajouter qu’en swahili hapa est possible, quoique moins commun, avec des prédicats au passé ou au futur :

  1. Ni-li-kuwa nikikulaIl s’agit d’une construction équivalente à l’imparfait.hapani-kiumwa na kichwa.

Je-passé-être mangeant ici je-ayant mal à la tête.

Je mangeais quand j’ai eu mal à la tête.

  1. Tu-li-kuwa tukilala hapa tu-kisikia sauti.

Nous passé-être dormant ici nous-entendant un bruit.

Nous dormions quand nous avons entendu un bruit.

  1. Ni-ki-fika Nairobi, hapa nitapiga kelele.

Je-si-rentrer Nairobi, ici je ferai du bruit

Dès que je serai à Nairobi je ferai du bruit.

Notons qu’ici, dans les deux premiers cas, on a l’activité et l’achèvement, tandis que dans le troisième, on a l’état et l’achèvement. Manifestement, le schéma d’emploi de hapa est ‘«’ ‘ un achèvement ponctuel qui pénètre un processus non-borné (activité ou état) »’.