8.3.5.2 - Notre solution

Une explication possible du phénomène en question part de l’usage spatial d’ici. Comme on l’a déjà indiqué plus haut, il renvoie à un espace où se trouve le locuteur et, comme on l’a déjà dit, la taille de cet espace est définie par le contexte. On pourrait peut-être imaginer ici comme un point non seulement dans l’espace géométrique mais aussi dans l’espace abstrait - temporel. Mais cela va à l’encontre avec les idées que ici et maintenant sont plutôt des expressions vagues et cela ne motive que partiellement l’emploi temporel d’ici.

En effet, nous pensons qu’une autre chose est cruciale ici : la fonction principale de toutes les expressions déictiques est de pointer, d’indiquer 224 et c’est la qualité d’indexicalisation qui joue dans les usages temporels d’ici. Rappelons que dans son usage spatial ici peut aussi ne pas référer à l’endroit où se trouve le locuteur mais à l’endroit qu’il désigne 225 . C’est exactement le cas qu’on a dans la narration. Lorsqu’on emploie ici dans la narration, on pointe sur un moment saillant, et en pointant on souligne son importance et sa pertinence. Mais pourquoi pointe-on avec ici ? Tout simplement parce que ici est très efficace comme outil d’indexicalisation.

Ajoutons que dans certains emplois non-standard, à savoir les emplois narratifs, ici (ou hapo) garde son lien avec le locuteur : dans cette perspective le narrateur en l’utilisant rappelle au lecteur ou à l’auditeur sa présence, et il entre en dialogue avec lui. Il semble que dans ce cas là nous avons un narrateur qui assiste à l’événement et le décrit et qui, en quelque sorte, en pointant, invite l’interlocuteur à être témoin du déroulement de l’éventualité. On pourrait donc dire que le déictique est employé interprétativement. A notre avis, l’usage temporel d’ici repose sur le fait qu’il y a quelqu’un (à savoir le locuteur ou le narrateur) qui pointe et non sur le fait qu’ici désigne l’endroit où le locuteur se trouve.

La même chose pourrait être dite pour (hapo)temporel dans la narration, mais chez lui le trait de pointer est moins fort.

Une dernière question surgit à ce point : pourquoi, si on veut pointer sur les entités temporelles, ne pointe-t-on pas avec les déictique temporels, comme maintenant ? En fait, on peut le faire, mais à notre avis la fonction de pointer est beaucoup moins pussante chez maintenant. Ici réfère à l’endroit où se trouve le locuteur (S), maintenant au moment de la parole de locuteur (S). Mais le locuteur peut très bien pointer avec ici sur un autre endroit spatial non égal à S (ici y est toujours employé descriptivement). Cela est impossible avec maintenant sauf dans le cas de l’usage interprétatif.

Notes
224.

C’est le sens même du verbe grec deicton.

225.

En Europe, on pointe avec l’index mais dans certaines cultures africaines, comme nous avons pu l’observer chez différents groupes ethniques à Nairobi, on peut aussi pointer avec les lèvres.