9.1.1 - Une analyse cognitiviste des usages non-standard de la préposition over

Commençons par l’analyse cognitiviste des différents usages d’une préposition spatiale. Ici il s’agit de la préposition over qui a, depuis des années, attiré l’attention des linguistes.

Dans ses travaux résumés dans le livre The Semantics of English Prepositions (Evans & Tyler, 2003), Evans analyse les usages divers de la préposition over en anglais. Il part de ses usages spatiaux :

  1. The picture is over the sofa.

Le tableau est au dessus du sofa.

  1. The cat jumped over the wall.

Le chat a sauté par dessus le mur.

Evans indique qu’historiquement le sens le plus ancien de over est plus haut que comme dans l’exemple (1). Son opinion est que les concepts lexicaux additionnels d’over sont motivés par la manière dont nous interagissons avec notre environnement spatio-physique. A titre d’exemple, over dans (2) (par dessus)  évoque une conceptualisation dynamique : il s’agit du trajet de la cible qui à un moment se trouve d’un côté de mur (position A), à un autre au-dessus du mur (position B) et enfin de l’autre côté (position C).

Figure 1 : The cat jumped over the wall
Figure 1 : The cat jumped over the wall

Mais seule la position B est explicitement mentionnée en anglais. Les deux autres points sont inférés grâce à ce que nous connaissons sur sauter, chats et murs.

Cependant, grâce au processus de ré-analyse, les différents sens de over deviennent des composantes sémantiques distinctes de cette préposition parce qu’ils ont été inférés suffisamment souvent. Ainsi, ce qui est impliqué finit par devenir instantané dans la mémoire sémantique.

Ce procès est connu dans la littérature comme le renforcement pragmatique (pragmatic strengthening, Traugott 1989 ; Hopper & Traugott 1993). Ajoutons ici que le processus de renforcement pragmatique ressemble en quelque sorte à ce qui est déjà connu en linguistique sous le nom de grammaticalisation, qui est le processus d’émergence de moyens spécifiquement linguistiques d’encoder les significations (Ducrot et Schaeffer, 1995).

De cet usage spatial dérivé, Evans passe à l’usage abstrait de la complétion :

  1. The movie is over.

Le film est terminé.

L’auteur explique que le point final de la trajectoire est normalement compris comme la complétion d’un processus. En effet, la position finale, qui est le résultat du mouvement, est en corrélation avec la complétion du mouvement.

Enfin, Evans analyse le sens temporel de la préposition over :

  1. The relationship petered out over the years.

Leur relation s’épuisa avec le temps.

  1. The festival will take place over the weekend.

Le festival aura lieu pendant le week-end.

  1. Their friendship has remained strong over the years.

Leur amitié est restée solide au fil des années.

Dans tous ces exemples, la cible est conceptualisée comme co-occurrente avec le site temporel.

Voici comment Evans dérive cet usage. Il part de l’exemple suivant :

  1. The boy walked over the hill.

Le garçon a franchi la colline.

Cette phrase implique que la cible (le garçon) a traversé le site (la colline). Selon Evans, la différence très importante entre la traversée d’un site étendu (comme la colline) et celle de sites non étendus est que, pour accomplir la première, on a besoin de plus de temps que pour accomplir la seconde.

Donc, plus la distance est grande, plus on a besoin de temps. Evans suggère que c’est grâce à cette équivalence physique que la durée est devenue une implicature associée à over. De nouveau, ce sens est finalement associé au lexème over grâce au renforcement pragmatique. Evans en conclut que le sens temporel d’over était d’abord conventionnellement associé à cette préposition, mais qu’avec le temps il est devenu une composante de son sémantisme. On pourrait remarquer ici que, comme les implicatures conventionnelles ne sont pas défaisables, la différence entre les deux options n’est pas claire.

A notre avis, l’explication d’Evans laisse à désirer. Il dit que la préposition over est employée dans le sens temporel à cause de la relation entre l’espace parcouru et le temps écoulé. Cette relation existe, mais l’utiliser comme la seule explication de l’usage temporel de la préposition nous semble trivial. De plus, Evans n’explique pas quels traits sémantiques sont présents dans les deux types d’usage (temporel et spatial). Enfin, nous ne comprenons pas pourquoi le sens temporel de cette préposition devrait être d’abord une implicature conventionnelle. Si l’on observe diachroniquement la sémantique des prépositions spatiales, il ne semble pas que leurs sens spatiaux se soient développés avec le temps. Au contraire, il est fréquent que ces prépositions soient d’abord spatio-temporelles, mais qu’avec le temps (pensons, par exemple, aux préposition devant et derrière en français), elles perdent leur sens temporel.