9.1.2 - La fusion conceptuelle et la relation entre le temps et l’espace

Passons maintenant à la notion de fusion conceptuelle présentée au chapitre 2. Comme on a dit, la fusion conceptuelle devrait expliquer (mieux que la simple relation espace source – espace objectif) la possibilité de certaines interprétations métaphoriques et les combinaisons de sens très complexes ou inattendues (voir les exemples présentés au chapitre 2). Rappelons que c’est grâce à la fusion conceptuelle qu’on obtient des espaces mentaux fusionnés contenant les éléments provenant de l’espace source et de l’espace objectif mais aussi de nouveaux éléments originaux.

La question qui se pose est la suivante : peut-on utiliser la fusion conceptuelle pour expliquer l’emploi temporel des expressions spatiales ?

Dans leur article de 1994, Fauconnier et Turner analysent des phrases du type Noël n’est pas loin, où un adjectif spatial est employé pour désigner une relation temporelle. Ils expliquent que dans ce cas il y a un espace objectif actif (temps) plus un espace source faiblement actif (espace) et un espace générique (représentant ce qui est commun au temps et à l’espace). Leur opinion est que l’espace source est faiblement actif parce qu’on peut dire Noël n’est pas loin sans penser vraiment à la source : l’espace spatial dans lequel loin est une notion primitive.

Selon les auteurs, ce n’est pas parce que l’adjectif a changé de sens ou parce que le lien entre l’espace et le temps s’est perdu. C’est parce que la structure abstraite supérieure, qui existe dans l’espace générique (qui sert de médiateur) est conventionnellement utilisée dans le domaine temporel. Cela est possible grâce au lien conceptuel entre le temps et l’espace qui est déjà établi et qui est devenu une chose ‘«’ ‘ normale’».

Fauconnier et Turner soulignent en effet que l’espace physique est l’archétype de l’espace générique (qui est, bien évidemment, une construction mentale) probablement parce qu’il est sa base expérientielle. Par conséquent, il garde sa domination (il est activé) chaque fois que l’espace générique est projeté sur l’espace objectif.

Cependant, insistent les auteurs, il y a un paradoxe ici : c’est parce que la structure source (l’espace) est si souvent utilisée lorsqu’on pense à ou on parle de l’objectif (temps) que nous ne nous rendons pas compte consciemment que notre façon de parler du temps est métaphorique. Cela devient plus clair lorsque les exemples sont moins habituels. En effet, dès que l’on emploie un vocabulaire moins conventionnel, la réactivation devient apparente. Les auteurs proposent la phrase We are a stone throw from Christmas (littéralement, Nous sommes à un jet du pierre de Noël). Ici il est clair qu’il s’agit bien évidemment d’une métaphore spatiale : une distance spatiale qu’on considère comme petite est utilisée pour parler d’une distance temporelle. Donc, la phrase signifie : Noël arrivera bientôt.