9.1.3 - La fusion conceptuelle et la matrice temporelle

Voici encore une application de la notion de la fusion conceptuelle. Dans son article de 2001, Evans utilise cette notion pour expliquer le phénomène de sens de ce qu’on appelle la matrice (moule) temporelle. Dans la conception de la matrice temporelle, le temps est considéré comme une entité non bornée, capable de subsumer tous les autres événements. Ainsi, il sert en quelque sorte de fond ou d’arrière-plan pour eux. La matrice représente la conception quintessencielle du temps. Voici quelques exemples dans lesquels le mot time (temps) est employé dans le sens de la matrice temporelle :

  1. Time flows/runs/goes on forever.

Le temps coule/court/va à l’infini.

  1. Time has no end.

Le temps n’a pas de fin.

  1. The unending elapse of time.

Le passage infini du temps.

  1. Those mountains have stood for all time.

Ces montagnes s’élevent depuis toujours.

  1. Nothing can outlast time.

Rien ne peut survivre au temps.

  1. We live in time.

Nous vivons dans le temps.

Mais, indique Evans, notre expérience subjective du temps est obligatoirement liée à une succession continue des moments temporels qui sont intégrés par la mémoire et rendent possible l’expérience de la durée. Le problème qui se pose est que cela ne peut pas être la base du sens de la matrice, entité temporelle non bornée, éternelle et qui subsume tous les autres. Il y a en fait un conflit entre la durée qui présuppose le bornage et le fait que la matrice est non bornée (Evans, 2001, 3).

La solution réside dans le fait qu’on doit considérer la matrice comme une double fusion qui consiste en deux inputs : le premier est basé sur notre expérience phénoménologique du traitement cognitif du temps, mais ce qui est projeté dans la fusion, c’est la conception de la continuité de l’expérience temporelle ; le deuxième input est lié à la perception du séquencement des événements (l’idée de la structuration des événements). On a donc une pluralité d’événements.

Le réseau d’intégration est lui-même structuré par l’espace générique qui consiste en une notion encore plus abstraite de la continuité de l’expérience. Dans la fusion conceptuelle, il y a un événement singulier qui est continu. Mais la fusion possède aussi un cadre organisationnel qui n’apparaît dans aucun des inputs. La conception de la temporalité et de la structure des événements dérivée des inputs est radicalement différente dans la fusion. La structure émergente est a-durationnelle et par conséquent dépourvue de la qualité qui rend le temps temporel. Mais la matrice reste quand même temporelle. De plus il n’y a qu’un seul événement et non une multitude d’événements comme dans le deuxième input. Cela est dû à la compression interne des événements dans cet input : dans la fusion, ils se réduisent à un seul événement (ibid., 25).

Figure 2 : Image d’Evans, 2001, 25 (nous traduisons)
Figure 2 : Image d’Evans, 2001, 25 (nous traduisons)

La conséquence du fait que l’événement singulier est dérivé des inputs liés à la continuité temporelle, mais aussi à la succession des événements est que la matrice est en même temps temporelle et continue mais capable de subsumer la succession des événements. C’est ainsi qu’elle devient un cadre dans lequel l’occurrence des événements est évidente.