9.1.4 - Comparaison entre l’approche en termes de métaphore, de fusion conceptuelle et nos analyses

Qu’est-ce-que l’idée de la fusion conceptuelle peut apporter à nos analyses et à nos conclusions ? Est-ce que la théorie de Fauconnier et Turner peut nous aider dans notre étude sur la relation (linguistique et conceptuelle) entre le temps et l’espace ? Essayons d’abord d’en faire un résumé.

Primo, leur hypothèse est que l’espace est la source de la notion du temps (objectif) et que, outre ces deux espace mentaux, il y a aussi un espace générique qui représente ce qui est commun pour le temps et l’espace. Nous sommes absolument d’accord avec cette constatation. Mais Fauconnier et Turner ne s’arrêtent pas sur la structure de cet espace générique. La seule chose qu’ils disent est que l’espace physique est la base de l’espace générique parce qu’il est sa base expérientielle. Mais ils n’en disent rien d’autre, ils n’expliquent pas comment, à travers l’expérience de l’espace, nous comprenons le phénomène du temps. Et c’est justement la nature de cette expérience qui nous intéresse. De plus, pour expliquer la structure de l’espace générique, il faut constituer une ontologie spatio-temporelle de primitifs conceptuels communs à l’espace et au temps. Nous sommes donc confrontée au problème déjà traité dans cette thèse. A titre d’exemple, il faut montrer que la topologie est totalement neutre par rapport à l’opposition espace/temps.

Deuxièmement, les auteurs disent que l’espace source (l’espace physique) est faiblement actif puisqu’il est très souvent utilisé lorsqu’on parle du temps et qu’en conséquence, nous nous ne rendons pas compte que notre façon de parler du temps est métaphorique. Peut-on en conclure que la métaphore le temps est l’espace n’est pas une vraie métaphore mais qu’il s’agit plutôt de ce que Jackendoff (1985) appelle des relations thématiques 231 (cf. chapitre 1) ? Pour prouver qu’il s’agit vraiment d’une métaphore, les auteurs se servent de l’exemple moins typique We are a stone throw from Christmas. Il est évident que, dans ce cas, on peut parler de métaphore (non seulement au sens cognitiviste du terme mais aussi au sens littéraire). Mais, soulignons-le, c’est une chose d’étudier des exemples de ce type et une autre d’analyser l’usage temporel des prépositions spatiales. A titre d’exemple, quand on utilise la préposition on en anglais pour dire on Monday, il est très difficile, voire impossible, de considérer cela comme un usage métaphorique de on. Il faut définir les traits sémantiques présents dans les deux types d’usage. Et cela devient assez facile si, comme nous le faisons, on base la préposition sur sur la notion de connexion externe. Ainsi, étant donné que la connexion externe est une notion applicable dans le domaine spatial et dans le domaine temporel, on n’a pas du tout besoin de celle de métaphore.

Troisièmement, Fauconnier et Turner ne parlent pas des espaces fusionnés dans le cas de l’emploi temporel des expressions spatiales. Ils ne disent pas pourquoi. Cela nous semble quand même logique, car cela signifie que dans le cas des relations temporelles on n’a pas conceptuellement un terrain plus compliqué et complexe que dans le cas des relations spatiales. En effet, l’ontologie temporelle est une simplification de l’ontologie spatiale. On n’a donc pas besoin de créer des espaces fusionnés ayant des structures originales et inattendues (cf. chapitre 2).

Il est important de souligner que les idées de Fauconnier et Turner ne vont pas à l’encontre des nôtres. Ils disent que la représentation du temps se fait à partir de la représentation de l’espace. L’espace générique peut être compris comme l’ontologie spatio-temporelle de base. Mais le problème que nous avons avec leur approche est qu’elle est trop implicite. Ils n’expliquent pas vraiment ce qu’est conceptuellement l’espace générique, quelle est sa structure, la nature de ses éléments et comment on le construit mentalement. De plus, ils disent juste que la relation entre le temps et l’espace est métaphorique (dans le sens de la linguistique cognitive) mais n’entrent pas dans la nature de cette métaphore. Nous voudrions bien en savoir un peu plus. Et même s’il est vrai que cette relation est métaphorique, cela n’explique pas, pour chaque préposition spatiale, pourquoi elle peut être ou ne peut pas être employée temporellement. En somme, Fauconnier et Turner n’argumentent pas vraiment leurs idées ; ils laissent trop de questions ouvertes et ce sont exactement les questions que nous avons abordées dans cette thèse.

Remarque finale : il nous semble que l’idée de fusion conceptuelle s’applique mieux à des phénomènes singuliers comme la matrice temporelle, qui a une signification contradictoire, qu’au problème de la relation conceptuelle et linguistique entre le temps et l’espace (où on n’a pas vraiment besoin d’espaces fusionnés – les espaces génériques suffisent).

Notes
231.

Jackendoff introduit l’hypothèse des relations thématiques (HRT) qui postule que tous les [EVENEMENTS] et [ETATS] de la structure conceptuelle sont organisés selon un ensemble très limité des principes issus principalement de la conceptualisation de l’espace (Jackendoff, 1985, 209).