Des pouvoirs dans la ville

La ville est aussi le lieu du pouvoir politique. John Merriman s'est interrogé sur les rapports de pouvoir entre centre et périphéries urbaines, et a montré l'existence d'une politisation des enjeux de pouvoir permettant d'appréhender en partie révoltes et émotions urbaines au XIXe siècle 23 . Ce paradigme du rapport de force entre centre et périphérie me semble central pour lire les conflits qui se jouent entre les communes suburbaines et la Ville de Paris ou l'autorité préfectorale, mais aussi pour analyser les tentatives de régulation moderne qui naissent au tournant du siècle. On retrouve ici encore d'autres sciences sociales, et tout particulièrement les sciences politiques, qui s'interrogent sur les pouvoirs urbains et la "nouvelle gouvernance 24 ". L'histoire urbaine récente se nourrit de ces questionnements, en s'interrogeant sur les prémisses des politiques urbaines, avec William Cohen, ou en réfléchissant aux acteurs de ces politiques locales, comme c'est le cas de Bruno Dumons, Gilles Pollet et Pierre-Yves Saunier 25 . Les politiques urbaines deviennent de nouveaux sujets d'études, comme en témoigne le colloque tenu à Rouen en 2002 portant sur "les politiques municipales face aux pathologies urbaines 26 ".

Du pouvoir urbain aux acteurs de ce pouvoir, on retrouve un axe fondateur de l'histoire urbaine. Elites et édiles urbains sont au cœur des périodes plus anciennes de l'Histoire : antiquisants, médiévistes et modernistes se sont engagés dans ces définitions des patriciats urbains, d'autant plus que l'autonomie des cités romaines et la notion même de citoyenneté dans le monde romain laisse une large partie du pouvoir municipal aux édiles. Analyser les politiques municipales passe donc par un changement de regard, faisant des édiles les acteurs principaux du sujet. L'histoire des élites urbaines, en tant que composante sociale du monde urbain, est un champ fécond de l'histoire sociale. Or, le maire, né de la Révolution française, n'a que peu intéressé les historiens, à l'inverse des élites nationales, députés et sénateurs, hauts fonctionnaires ou professeurs, qui eux ont été au cœur de l'histoire sociale contemporaine. L'enquête sociale nationale engagée par l'équipe réunie par Maurice Agulhon à Paris-1, et qui a publié ses résultats dans les Maires en France, du Consulat à nos jours, constitue bien une exception : l'histoire de la mairie et de la fonction mayorale relève encore largement de l'histoire locale, même si aujourd'hui, les élites politiques locales deviennent un champ de réflexion en évolution, où se retrouvent politistes, sociologues et historiens du contemporain 27 .

Ainsi, la ville des élites locales est bien d'un objet d'histoire à la croisée des chemins, tentant de mener aussi bien une histoire sociale de la ville, que celle du pouvoir mayoral et des représentations édilitaires de l'urbain.

Notes
23.

Merriman John M., Aux marges de la ville : faubourgs et banlieues en France, 1815-1870, Paris : Ed. du Seuil, 1994, 399 p. [1991]

24.

Grémion Pierre, Le Pouvoir périphérique. Bureaucrates et notables dans le système politique français, Paris, Seuil, 1976.

25.

Cohen William B., Urban Government and the Rise of the French City, St Martin's Press, 1998 ; Dumons B., Pollet G. et Saunier P.-Y. Les élites municipales sous la IIIe République. Des villes du sud-ouest de la France, Cnrs éditions, 1997.

26.

Actes à paraître en 2004.

27.

Dernier numéro d'Histoire et Sociétés. Revue Européenne d'Histoire sociale, sur les Professionnels de l'urbain 12/2004 (à paraître début nov. 2004) ; Groupe de recherche sur l'histoire des villes nouvelles (Fourcaut – Vadelorge), qui réfléchit au rôle des acteurs locaux dans la politique de la ville.