La proche banlieue parisienne : une temporalité spécifique

Ces édiles sont inscrits dans un monde urbain particulier, la proche banlieue de Paris. Le choix de commencer en 1860, lors de l'annexion des communes comprises entre les murs d'octroi et les fortifications de Thiers, a été fait pour coller aux réalités territoriales de cette annexion. En effet, alors que certaines communes ont entièrement été annexées par la capitale, devenant des quartiers – c'est le cas d'Auteuil, de Vaugirard ou de Belleville –, d'autres ont été dépecées par cette annexion. Montrouge, mais aussi Gentilly ou Ivry, ont ainsi été amputées de leur territoire intra muros, souvent le plus actif et le plus industriel ; la commune de Montrouge hors les murs reçoit même en compensation des morceaux de territoire conquis sur ses voisines, Arcueil, Bagneux ou Vanves. 1860 marque donc une rupture territoriale, une recomposition spatiale qui en fait une sorte de renaissance : Montrouge quitte son statut de commune à cheval sur la frontière des fortifications pour devenir, définitivement, une ville de banlieue, alors que paradoxalement la quasi-totalité de son territoire a formé le 14e arrondissement.

La fin de l'histoire se situe en 1914. La rupture est connue et essentielle dans l'histoire nationale, a-t-elle un sens dans l'histoire urbaine des communes de banlieue ? Dans un certain sens, non. Les élections municipales de 1912 ont souvent appelé au pouvoir de nouveaux maires, à la tête d'équipes municipales transformées. Mais le renouvellement des conseils prévu en 1916 n'aura pas lieu pour cause de conflit, et ce sont les mêmes équipes, élues avant guerre, qui restent jusqu'aux premières échéances électorales d'après guerre, en mai 1919. Il aurait été tentant de terminer alors l'histoire en 1919, clôturant ainsi le monde du XIXe siècle dans le fracas du conflit mondial. Mais la législation d'exception qui a lieu pendant la guerre, l'urgence des rationnements, de la mobilisation économique – la banlieue parisienne est le lieu par excellence de la mobilisation des industriels pour l'économie de guerre –, l'organisation des secours aux soldats mobilisés ou aux personnes évacuées des régions occupées font de cette période un monde à part, dans lequel les pratiques édilitaires en temps de paix sont mises entre parenthèse. Certes, on continue à vivre, à aller à l'école, donc à gérer celle-ci, à avoir besoin de soins, donc à créer des dispensaires et des soins pour les enfants : les préoccupations quotidiennes sont en partie les mêmes, la situation exceptionnelle du moment éloigne toutefois tout projet de construction de grande ampleur, raccordement au réseau d'assainissement, nouveaux équipements routiers, infrastructures de transports en communs qui forment l'ossature des revendications de politique urbaine des élites avant-guerre. Accélération, rupture ou parenthèse de l'histoire, la guerre de 1914 est donc exclue de fait du cadre de cette thèse.