Le choix du terrain pose aussi problème. Jean-Paul Brunet a montré avec force la politisation précoce de Saint-Denis, et, parce que cette banlieue ouvrière me paraissait déjà balisée par l'historiographie, je souhaitais quitter le terrain des communes socialistes ou prolétariennes qui, déjà, gagnent quelques municipalités avant la fin du XIXe siècle. La question n'est plus à la compréhension de l'émergence d'une banlieue rouge dans l'entre-deux-guerres, et le second XIXe siècle doit être aussi analysé en lui-même, non pour ce qu'il peut dire sur l'entre-deux-guerres. Trop souvent associées, banlieue et années 30 doivent être dissociées pour comprendre la genèse de cet espace, pour saisir toute la réalité de cette "banlieue d'avant la banlieue 34 ". Mon choix s'est donc porté sur quelques communes formant une unité paysagère et sociale, et connues pour la forte implantation de maires d'opinion républicaine, puis radicaux à la fin du siècle. Ce choix est lié à deux éléments. D'une part, il s'agissait d'éliminer les fortes notabilités locales présentes dans les communes très résidentielles, voire aristocratiques de l'Ouest parisien 35 , et dont le pouvoir est marqué par une fidélité au régime assez semblable à ce que l'on trouve dans de nombreux bourgs ruraux. L'urbanisation de ces petites communes ne sera une réalité qu'après la Première Guerre mondiale, et il ne s'agissait pas, dans mon propos, de réfléchir aux marges rurales de la région parisienne. D'autre part, le républicanisme, revendiqué ou supposé, de ces élites urbaines risquait de faire émerger en leur sein de nouveaux venus, proches des préoccupations sociales du Parti radical, tournés vers les classes moyennes mais non encore empreints du conservatisme social critiqué dans l'entre-deux-guerres. La défense des "petits" contre les "gros", de la Vérité et de la Justice, la foi dans la République, thématiques qui appartiennent à la culture politique du radicalisme d'avant 1914, donnent aux acteurs liés à ce groupe politique un entregent pour la politique sociale. Herriot peut très bien servir d'exemple : devenu maire de Lyon en 1905, il intègre largement les questions urbaines à ses préoccupations mayorales, et, par certains côtés, côtoie le monde de la réforme.
C'est donc le politique qui a été le substrat de la recherche du terrain. La présence, dès la veille du premier conflit mondial, de députés radicaux représentant le canton de Sceaux m'ont aiguillé sur ce territoire. En vérifiant les attaches partisanes revendiquées des maires élus depuis les années 1890, j'ai délimité un terrain composé de quatre communes, limitrophes de Paris pour trois d'entre-elles, plus éloignée pour la dernière. Tout en gardant Bagneux, plus éloignée de Paris, moins importante en population que les trois autres, comme une sorte de "témoin" d'une banlieue marquée encore par la ruralité tout en étant dirigée par un élu radical depuis 1899, j'ai exclu de cette étude d'autres communes, encore plus éloignées de Paris, comme Antony ou Sceaux, dont les logiques de peuplement semblaient se rapprocher soit de bourgs ruraux, soit des communes à fort lotissement résidentiel. Le choix d'un terrain politiquement uniforme s'est ainsi doublé d'une recherche d'unité sociale, c'est-à-dire de communes accueillant une population qui me semblait, d'après les quelques traces retrouvées ci et là, marquées par la mixité sociale. Il ne s'agissait pas de refaire une autre histoire de la banlieue parisienne, et bien de tenter de dépasser le clivage entre banlieue ouvrière et banlieue résidentielle, banlieue pauvre et banlieue riche.
L'analyse sociale des recensements de 1891 et de 1911, confrontée aux données des bottins du commerce, ont permis de confirmer cette impression d'une banlieue de la mixité sociale ; dès lors, le travail sur la définition économique et sociale du terrain trouvait toute sa légitimité.
Olivier Faron va même plus loin, lorsqu'il envisage la préhistoire de la banlieue au début du XIXe siècle à Milan. Cf. Faron, O., "la banlieue avant la banlieue. Milan et sa périphérie urbaine dans la première moitié du XIXe siècle", Histoire, Economie et Sociétés, juillet–septembre 1996, pp. 381-404.
Sur Le Vésinet, cf. Bauer, Gérard (dir.) Banlieues de charme ou l'Art des quartiers jardins, Aix en Provence, Pandora, 1980, 221 p.