Partie 1 : acteurs et territoires

Chapitre 1. Une périphérie géographique et sociale

Introduction : entrer en banlieue.

Pour un voyageur des années 1860, comme l'était Emile de la Bedollière, parcourir la banlieue ressemblait à une promenade quasi-champêtre. Une fois passée l'ancienne porte d'Enfer, située sur l'actuelle place Denfert-Rochereau, on atteignait la Porte d'Orléans en traversant les faubourgs parisiens, dont les façades ordonnées sur la route d'Orléans cachaient des arrières cours parfois misérables et d'anciens lotissements, à peine dotés d'un semblant de confort urbain. La route traversant la Porte d'Orléans semble ignorer les centres des communes qui ici nous intéressent : pour découvrir la banlieue, il faut non pas avoir l'âme d'un voyageur vers la province, mais vouloir s'échapper vers Châtillon, Clamart ou Sceaux.

La route d'Orléans est la limite territoriale entre Arcueil à l'Est et Montrouge à l'Ouest. Les deux communes qui se font face se ressemblent certainement ; Montrouge toutefois a la particularité d'être un centre nouveau, une sorte de "ville nouvelle" née après l'annexion. Avant 1860, il n'y avait dans la Plaine que des cultures et des carrières, auquel on peut ajouter le parc d'un ancien château seigneurial tombé dans l'oubli.

Il faut donc emprunter d'autres portes pour quitter Paris et découvrir Malakoff, Vanves puis Bagneux. Pendant longtemps, seule la Porte de Vanves était percée dans les fortifications ; la route quitte alors Paris, passe sous le chemin de fer de Bretagne qui partage l'espace urbain en deux, et rejoint le centre de Vanves au travers d'un paysage encore très largement rural. Les maraîchers sont déjà à l'honneur, et les lotissements n'ont pas encore poussés sur ce territoire : le plus grand d'entre eux, La Californie, n'est pas relié directement avec Paris, et il s'étend sur le plateau à l'Est de la Porte de Vanves.

A quelques kilomètres des fortifications, les vieux bourgs s'égrènent : Issy, Vanves puis plus à l'Est Arcueil entourent Paris. Vanves est isolé de la vallée de la Seine par la commune d'Issy, et se développe d'une part vers le nord, sur son plateau, d'autre part au sud, grâce encore à l'agriculture, aux briqueteries et à l'artisanat. Pour atteindre Bagneux, il faut ignorer Vanves et traverser la plaine, dite plaine de Bagneux ou de Galande, pour ensuite grimper sur un petit tertre où se perche l'ancien bourg. Au-delà, c'est la campagne, dont, seule exception, émerge le château royal de Sceaux.

Cette traversée bucolique du nord du canton de Sceaux permet de faire découvrir un territoire assez ignoré ; hauteurs et dénivelées, plaines et plateaux ont disparus aujourd'hui, cachés par un bâti de tours et de barres qui casse ce vallonnement. Entre la banlieue d'hier et celle d'aujourd'hui, les différences sont grandes, à commencer par celles du paysage.

Par contre, si, au lieu de se trouver en 1860, on imagine traverser ce même territoire au début du siècle, les transformations sont déjà importantes : les routes sont parcourues par les tramways, les rues sont bordées de bâtiments, parfois d'immeubles de cinq ou six étages. Le bâti rural continue d'exister, mais les maisonnettes des pavillons de banlieue ont largement colonisé le territoire. La circulation automobile est inexistante, mais piétons et vélos se partagent une chaussée souvent pavée ; les rues sont bordées de réverbères, et, sur certains immeubles, certes en nombre restreint, on peut lire la fameuse phrase "gaz à tous les étages". Entre temps, la banlieue est entrée dans l'urbain, mais un monde urbain morcelé, un territoire en construction.

Le territoire s'appréhende davantage avec des cartes : pour aider dans le cheminement et la représentation de cet espace, deux cartes montrent bien l'évolution paysagère du territoire et permettent de le situer : d'une part, la Carte des Chasses du début du XIXe siècle (plan 1 ), centrée sur la banlieue sud-ouest ; d'autre part, un extrait de l'Atlas Lefèvre du début du XXe siècle (plan 2 ), montrant clairement l'urbanisation de cet espace aux marges de la ville.

plan 1. extrait de la Carte des Chasses, début du XIXe siècle.
plan 2. plan Lefèvre, vers 1905.