Le découpage départemental, esquissé par Necker en 1786 49 , confirmé par la Convention, crée un système administratif unique enserrant la capitale : d'un côté, la Ville de Paris, administrée selon une procédure hors du droit commun, de l'autre, un encadrement de cette commune par un département, la Seine, lui même enserré dans un autre département, la Seine et Oise. Aucune de ces limites administratives ne correspondent ni à la définition ancienne de l'Ile de France, ni aux limites de la généralité de Paris au XVIIIe siècle 50 . La situation qui se crée ainsi au début du XIXe siècle, et qui perdurera jusqu'à la réforme de 1964 créant les départements de la région Ile de France actuelle, exclue quasiment toute adéquation entre région "naturelle" et région administrative. Seule la présence de Paris en son centre, finalement, constitue le point de convergence de cette région.
Composée de nombreux pays et terroirs, finalement beaucoup plus variés que ne le suggère le terme géographique de bassin parisien, la région parisienne est donc intimement liée à l'urbanisation de la ville centre et à son excroissance. Cette tentation du dépassement des limites administratives et fiscales, signifié par les successifs débordements hors-les-murs de Paris, continue de se manifester, et l'accélération de la croissance urbaine à partir du début du XIXe siècle corsète la croissance de Paris, entraîne à la fois la densification intra-muros du bâti et l'accélération de la croissance à l'extérieur des murs. Les faubourgs de Paris existent depuis longtemps. Clairement identifiés, socialement typifiés, ils représentent une partie du Paris populaire. En 1860, l'annexion des communes de la Petite Banlieue et l'installation de Paris dans les limites définies par sa dernière enceinte fortifiée, celle de Thiers, semble intégrer définitivement ces faubourgs à la ville. Mais la banlieue, faubourg du faubourg, continue, elle, à s'étendre, à se densifier, à se transformer.
Le choix d'un terrain d'étude qui commence aux fortifications semble présupposer le peu d'importance de l'espace naturel. Or, à Paris comme dans de nombreux autres espaces, ce cadre impose des contraintes et explique une partie des destinations originelles, voire des installations premières de l'habitat. La présence humaine est en partie déterminée par le paysage et par les possibilités de cultures agricoles : dans ce cadre, la banlieue parisienne ne fait pas exception, d'autant plus si on regarde son développement à un moment où la ceinture maraîchère continue d'exister. Si aujourd'hui le poids des contraintes naturelles est moins prégnant qu'autrefois, il façonne une part de l'image d'un territoire, de "l'espace vécu".
Géographes et historiens s'accordent sur la place à accorder au substrat naturel dans l'explication des phénomènes d'installation humaine. Dès 1946, Roger Dion proposait de limiter drastiquement le poids des structures morphologiques dans cette analyse, en montrant que les sols du bassin parisien, où les calcaires occupent une large place, sont nettement plus attractifs que le même type de sol dans le sud de la France : le climat mais aussi la présence de forêts, l'importance numérique des hommes, la facilité du commerce jouent autant de rôles dans l'explication des "pleins" 51 . Toutefois, et paradoxalement dans le cas de la banlieue parisienne, où aujourd'hui ce substrat géomorphologique tend à s'effacer du paysage, certains grands traits des caractéristiques du sol et du sous-sol contribuent à donner des permanences agricoles et culturelles une explication intéressante. Ainsi, comment expliquer autrement l'existence, dans une large partie de la banlieue sud-ouest de Paris, de fêtes locales qui se tiennent début octobre, sinon à se souvenir que Saint Vincent est le patron des vignerons et que c'est ainsi le début de la vendange qui est célébré? La vigne n'existe plus depuis longtemps sur les coteaux de Bagneux et de Vanves, mais ces fêtes locales continuent d'y avoir une importance culturelle non négligeable. Au XIXe siècle encore, l'urbanisation différentielle de l'agglomération parisienne n'est elle pas aussi largement liée à la concurrence importante des activités agricoles, fruitières et maraîchères, qui ont fait de la banlieue le pourvoyeur en matières premières de la capitale ? Enfin, derrière ce paysage qui aujourd'hui n’apparaît plus pour qui a perdu l'habitude de regarder avec sympathie ces modestes pavillons de banlieue, se trouve une histoire socio-économique importante, en partie liée au cadre naturel.
Roncayolo, M., "le département", in Nora, P. (dir.), Les lieux de mémoire – Les France. Quarto, 1997 [1992] pp. 2937-2974 ; Ozouf-Marignier, M.-V. La formation des départements. La représentation du territoire français à la fin du XVIII e siècle. Ehess, 1989 ; Nordman, D., Ozouf-Marignier, M.-V. (dir.), Atlas de la Révolution française, 5.2 : les limites administratives, Ehess, 1989 ; Fredj, C. "perception, représentation, image du département : la création d'un espace. A travers l'exemple de la Seine et de la Seine-et-Oise entre 1790 et 1964", DEA, Ehess (Lepetit), 1993.
Beaujeu-Garnier, J., Atlas et géographie de Paris et de l'Ile de France, fig. 1, p. 21. "l'Ile-de-France n'est pas une région naturellement délimitée. Elle n'a pris corps que sous la dépendance à la fois du pouvoir politique établi à Paris et des exigences d'une grande ville par rapport aux terres qui l'entourent" p. 22.
Dion R., "La part de la géographie et celle de l'histoire dans l'explication de l'habitat rural du bassin parisien", Publications de la société de Géographie de Lille, 1946, p. 8-10 et p. 16.