1. Les premiers lotissements, mode privilégié d'urbanisation

Pour accueillir cette population en nombre toujours plus important, le paysage urbain de cette proche banlieue de Paris change. Les abords des fortifications connaissent une première urbanisation faite aux dépens de zones de cultures maraîchères, de champignonnières et de l'exploitation des carrières. L'extension de cette zone la plus proche de Paris reste limitée par la zone de servitude militaire entourant forts et fortifications. L'urbanisation par densification, à l'aide de petits immeubles de rapports aux appartements exigus, se développe alors sur les artères les plus importantes. Mais cela ne suffit pas à accueillir l'afflux de nouvelles populations : l'extension urbaine peut alors s'étendre vers le Sud, au-delà de la zone des fortifications.

Ce mode d'urbanisation se fait essentiellement par le découpage régulier de grandes propriétés. A l'image de Levallois-Perret, de Saint-Maur ou plus tardivement à d'Aulnay ¹²⁰ , Malakoff, alors lieu-dit de Vanves, est créé de toute pièce sous la forme d'un lotissement simple. Ce mode d'occupation de l'espace, extrêmement répandu, prend des formes diverses et plus ou moins achevées. Ainsi, le lotissement du Parc de Saint-Maur-des-Fossés, "d'une superficie de 157 ha, est racheté par la Cie des Chemins de fer de l'Est en 1853, puis […] loti à partir de 1859 et de la création de la ligne de Vincennes pour créer un quartier résidentiel ¹²¹ ". Le lotissement est donc au XIXe siècle, bien plus qu'une opération de construction et de viabilisation de l'espace urbain, une spéculation foncière. La forme urbaine née de ce lotissement semble, par contre, créer systématiquement une ségrégation sociale de l'espace : la taille des parcelles mises en vente, le choix d'un environnement paysager unitaire sont deux éléments qui permettent de séparer lotissements résidentiels et "bourgeois" et lotissements populaires, défectueux dès les années 1880 ¹²² .

La banlieue sud-ouest confirme cette omniprésence du lotissement comme forme majoritaire d'occupation de l'espace. Dès le milieu des années 1850, au moment de la forte pression démographique exercée sur les faubourgs parisiens ¹²³ , des opérations plus ou moins importantes de lotissements de terrains agricoles sont entreprises au-delà des fortifications. Le lotissement de "la Californie", créé au lieu-dit du Petit–Vanves, situé au nord-est du centre de la commune, est certainement le plus connu, car, à l'instar de la commune de Levallois-Perret, il a ensuite été érigé en commune distincte sous le nom de Malakoff. Alexandre Chauvelot est l'artisan de ce lotissement simple, ne comportant aucun élément de viabilisation et encore moins d'unité architecturale. Spéculateur foncier, il est à l'origine de nombreux lotissements dans l'actuel XIVe arrondissement, alors situé hors les murs : il a ainsi créé les quartiers de Plaisance et celui des Thermopyles ¹²⁴ . A partir de 1855, il achète des terrains au-delà des fortifications et les revend en réalisant au passage, espère-t-il, une plus-value sur le foncier. Chauvelot décide d'accompagner la création de ce lotissement d'un véritable "parc d'attraction", mêlant guinguettes et restaurants, bals de plein air, où il espère pouvoir attirer une clientèle ayant suffisamment d'épargne pour acheter un terrain et commencer la construction d'une maisonnette sur celui-ci ¹²⁵ .

La "Californie", aux noms de rues évoquant l'eldorado américain, n'est pas le seul lotissement d'envergure à être créé sur ce territoire, mais il semble l'un des plus anciens. En effet, il faut attendre les années 1880 pour trouver trace de deux autres opérations de lotissement. La forme juridique change, puisque, même si l'on trouve à l'origine un ou deux individus, les lotisseurs s'associent dans une société anonyme. Cette évolution confirme les transformations du système bancaire et des sociétés de promotion immobilières décrites par Michel Lescure pour Paris. La crise économique du début des années 1880 marginalise les entreprises individuelles semblables à celle lancée par Alexandre Chauvelot et le marché de la construction immobilière de rapport se fait de plus en plus soit par des sociétés bancaires, émanations des grandes banques immobilières, soit le plus souvent par des sociétés promotionnelles de construction ¹²⁶ . Ces dernières sont organisées de manière complexe, associant capital bancaire et bons ou actions appartenant à des spéculateurs individuels plus ou moins liés au monde du bâtiment ou de la banque. Tel est le cas des deux sociétés créées à Vanves et à Montrouge au moment de l'embellie du marché immobilier, la Société de la plaine de Vanves et la Société foncière de Montrouge.