A. Entreprendre en banlieue : un tissu économique en profonde mutation

A l'image d'autres espaces périphériques de Paris, la banlieue sud-ouest connaît de fortes évolutions, aboutissant en un temps très court à une apparente transformation de l'environnement socio-économique du territoire. A partir du début des années 1880, la proche banlieue bascule, à un rythme extrêmement rapide, du monde rural au monde urbain, ce dont témoigne la croissance démographique. Toutefois, ce bouleversement cache de nombreuses permanences. Si à la veille de la première guerre le monde de la proche banlieue parisienne est majoritairement composé d'ouvriers, auxquels se joignent, de plus en plus nombreux, des petits employés, si le lotissement de terres agricoles devient la règle de constitution de l'espace bâti, les traces du monde ancien ne sont pas encore totalement effacées. Le monde du travail est un monde où semblent coexister plusieurs types d'entreprises. Ainsi, à côté d'une myriade de petits artisans, indépendants mais appartenant à une logique économique de marché local, existent très tôt des ateliers de métiers ouvriers très qualifiés de l'imprimerie, de la typographie, de la gravure. Par ailleurs, la spécialisation industrielle de cette partie de la banlieue sud-ouest semble assez tôt se préciser, avec l'installation, progressive à partir des années 1860, puis extrêmement rapide dans la dernière décennie du siècle, d'entreprises agro-alimentaires et de petits ateliers de transformation des métaux. L'agriculture continue d'occuper un peu plus de 3 % des entreprises jusqu'à la veille de la guerre, et près de 5% des actifs à cette même date 218 . Enfin, les commerçants, qui représentent 11 % des entreprises indépendantes en 1860 et 22 % en 1911, n'occupent que 9 % des actifs, en 1891 comme en 1911 : la structure commerciale de cette partie de la banlieue est faite d'une large partie d'entreprises unipersonnelles, même si l'évolution semble aller vers une plus grande diversité des types de commerce : l'importance accrue du commerce de gros rejoint l'augmentation des négociants en produits agroalimentaires déjà évoqué, et confirme la spécialisation d'entreposage de la banlieue parisienne, décelée ailleurs et à une plus grande échelle 219 . La banlieue sud-ouest de Paris est donc marquée par une mosaïque d'entreprises et de secteurs économiques, dont l'analyse plus détaillée permet de saisir la complexité dans l'appartenance au monde traditionnel des faubourgs, à celui de la seconde industrialisation, voire à la persistance d'un modèle économique du "bourg rural" qui perdure assez largement dans le second XIXe siècle.

Notes
218.

Voir en annexe.

219.

Montel, N., "mutations spatiales, stratégies professionnelles et solidarités familiales à Paris au XIXe siècle. Le rôle des raffineurs de sucre villettois dans la formation de l'espace industriel." Histoire urbaine, 4/déc. 2001, pp. 63-65. Brunet, Une banlieue ouvrière : Saint Denis, thèse citée, pp. 27-62.