Alors que Paris semble une ville de jeunes actifs, ville de la première migration par excellence, les communes de banlieue peuvent-elles être celles de l'enracinement, de l'ascension sociale par l'achat du pavillon en lotissement ? Cette image de la banlieue, décrite pour l'entre-deux-guerres aussi bien à proximité de Paris que dans des espaces plus éloignés 284 , est-elle aussi valable pour le dernier quart du XIXe siècle ? Jean-Paul Brunet a montré le caractère profondément jeune de la population de Saint-Denis ; Gérard Jacquemet, pour Belleville alors faubourg de Paris, nuance l'idée d'une population de Banlieusards installée sur les hauteurs de Ménilmontant, et préfère signaler la coexistence de plusieurs mondes, celui des plus pauvres vivant proche des quartiers centraux de la capitale et celui, émergeant, d'ouvriers financièrement un peu plus à l'aise qui profitent des opportunités foncières pour quitter les garnis et logements surpeuplés du centre de Paris. En ce sens, il n'y a pas de Banlieusards, mais des Parisiens venus en banlieue plutôt dans une phase d'ascension sociale que de déclassement. Qu'en est-il de la banlieue sud-ouest ? Les habitants de Montrouge ou de Malakoff sont-ils de très jeunes actifs, célibataires, dont l'installation est alors essentiellement liée au marché de l'emploi et dont on peut supposer un faible enracinement, ou au contraire note-t-on une surreprésentation des actifs de plus de 45 ans, signe de cette éventuelle ascension sociale par l'entrée en lotissement ? De même, la structure des ménages permet aussi de dresser un portrait plus nuancé des Banlieusards dans le dernier quart du XIXe siècle : population dont les romans et les feuilletons de l'époque stigmatisent le faible attachement aux valeurs familiales, lieux de dépravation et de délinquance par excellence, "l'au-delà des fortifications" ne serait-il pas plus, en fin de compte, une banlieue familiale qu'une banlieue "d'apaches" et de criminels 285 ?
S'il est ici impossible de réfléchir en terme de comparaison de statistiques criminelles 286 , l'utilisation des recensements de 1891 et 1911, les comparaisons rendues possibles grâce à la publication de certains résultats au niveau communal pour l'ensemble du département de la Seine 287 et le croisement avec diverses enquêtes sur les conditions de logement 288 permettent de tenter une forme de réponse à la question d'une "identité" banlieusarde… Là encore, la faiblesse des archives conservées ne permet malheureusement pas de remonter au-delà du début des années 1890.
Faure A., "Villégiature populaire et peuplement des banlieues à la fin du XIXe siècle. L'exemple de Montfermeil", in La Terre et la Cité. Mélanges offerts à Philippe Vigier, Créaphis, 1994, pp. 167-194. ; Fourcaut, A. la banlieue en morceaux, Créaphis, 2000.
Sur ces représentations de la banlieue voir Jacquemet, "Belleville ouvrier à la Belle Epoque", Mouvement Social 118, janv.–mars 1982, pp. 61-77, mais aussi des pages intéressantes sur ces "apaches" dans Chevalier, L. Classes laborieuses et Classes dangereuses, qui montre bien que la périphérie sociale est souvent associée, dans le discours des élites, à la marginalité. Pluriel, 1984 [1978], pp. 117-259, sur la criminalité dans la littérature.
Pourtant les sources abondent : l'utilisation des mains courantes des commissariats de la banlieue parisienne, récemment ouverts, pourrait être un moyen intéressant de saisir la réalité de la marginalité par rapport aux représentations collectives véhiculées par la littérature populaire.
Annuaire statistique de la ville de Paris, 1891 et 1896. Statistique Générale de la France, Recensement général de la population, 1911. Tome 2, résultats par département, 1915.
Statistique des habitations dans la banlieue de Paris en 1911. Paris, impr. municipale, 1918, 120 p.