2. La banlieue au travail.

Communes fortement actives, communes où le monde du travail industriel semble majoritaire, ce territoire est-il pour autant une banlieue "ouvrière" ? La montée du monde des employés, perceptible déjà chez les femmes en 1911, signale sinon la transformation, du moins une forme de mixité sociale à la veille de la guerre. D'autre part, les entreprises présentes sur ce territoire ne correspondent pas au monde de la grande usine qui tend à se développer à la même période sur d'autres espaces banlieusards, et qui sont souvent l'occasion d'une radicalisation du mouvement ouvrier. Car tel est bien le paradoxe à éclairer : malgré la forte présence d'un sweating system comme celle d'un cœur industriel formé et souvent revendicatif, comment expliquer les insuccès relatifs des mouvements ouvriers dans cette partie de la banlieue, et tout particulièrement des mouvements politiques ? Si Malakoff peut faire figure d'exception en accueillant dès sa création en commune autonome une véritable équipe municipale regroupant des militants ouvriers, aucune des communes étudiées ne sera dirigée par des équipes socialistes avant les années 1930, date à laquelle Bagneux et Malakoff entrent dans le giron du Parti communiste pour ne plus le quitter. Peut être faut il chercher dans la composition socioprofessionnelle des habitants de ces communes l'une des clés d'explication d'un trait important de la banlieue sud-ouest, son attachement aux valeurs républicaines puis surtout au radicalisme jusqu'à la Première Guerre Mondiale.

Afin de pouvoir établir une comparaison avec les résultats du recensement de 1911 pour les communes de banlieue du département de la Seine, j'ai choisi de conserver la représentation des données telles qu'elles sont faites dans la Statistique générale de la France, et non en prenant toutes les informations figurant dans la case "position professionnelle" des listes nominatives du recensement ³¹⁵ . Seules 4 catégories sont donc retenues. J'ai agrégé à la position "ouvriers" les travailleurs à façon et les apprentis. J'ai exclu du tableau les sans professions, fort nombreux, ainsi que propriétaires et rentiers qui n'apparaissent pas dans le tableau récapitulatif de la Statistique générale de la France. Enfin, la question se pose pour les chômeurs, dont le faible nombre sur le territoire étudié ne permet pas la comparaison avec les résultats sur la Seine-banlieue.

Les comparaisons se font à population équivalente, ce qui oblige à travailler sur l'ensemble de la population active, comprise comme les hommes et femmes âgés de 14 à 70 ans ³¹⁶ , afin d'éviter la surreprésentation des individus qui se déclarent "sans profession" à cette période de quasi inexistence du statut de retraités, hormis pour la fonction publique ³¹⁷ . Par ailleurs, comme je l'ai indiqué dans le cas des Parisiens, le corpus pour l'étude des statuts professionnels est réduit du fait de l'absence de cette donnée pour la commune de Vanves et de la trop grande complexité à coder, uniquement en partant de la profession, le statut personnel ³¹⁸ : être blanchisseur signifie très certainement, dans la banlieue sud-ouest de l'époque, être ouvrier, voire même journalier ; or Vanves est paradoxalement réputée pour ses patrons blanchisseurs ³¹⁹ , dont certains entreront au conseil municipal, tout en évitant de mettre en avant cette profession, remplacée par le statut de propriétaire ou de rentier. Si le cas des blanchisseurs, largement étudié ³²⁰ , peut éventuellement être tranché, qu'en est-il des innombrables mécaniciens, bouchers, serruriers, plâtriers et couvreurs ? Malgré le croisement possible avec les données des Bottins du Commerce et avec les monographies communales publiées au début du XXe siècle ³²¹ , il est quasiment impossible de passer d'un type de données, par nature individuel, le recensement, aux autres données qui sont elles collectives et qui prennent en compte les entreprises et non les individus dans l'entreprise.