a. l'apprentissage de la citoyenneté, 1789-1848

La succession des lois électorales municipales, depuis la création administrative des communes au sens moderne du terme en décembre 1789, permet de voir des scansions chronologiques possibles. En uniformisant sur l'ensemble du territoire français les modes de désignation des assemblées locales, la Constituante confirme les tentatives de réformes antérieurement esquissées, en particulier par l'édit royal de 1787 instaurant le suffrage censitaire pour l'élection dans toutes les communautés. Certes, les lois révolutionnaires élargissent sensiblement le corps électoral, mais continuent de restreindre son rôle par la création de collèges successifs ; un pas était cependant fait dans la diffusion de l'idée d'une nécessaire existence d'une assemblée composée d'individus choisis librement par la communauté et chargée de la représenter 417 .

Tableau 34. Repères juridiques.

La loi du 14 décembre 1789 généralise ainsi la tenue régulière d'élections locales et accentue le transfert des agents du contrôle social et politique de l'Eglise vers des "notabilités" au recrutement plus diversifié 418 . Toutefois, cette première expérience d'un suffrage local qui, dans certaines communes, a pu être quasi universel est vite contestée. Les élections municipales sont suspendues en 1793, et les conseils municipaux sont remplacés dans la Constitution de 1795 par des assemblées cantonales regroupant les agents municipaux du canton, nommés par le pouvoir central. La loi du 17 février 1800 supprime l'élection directe, les conseillers étant choisis par le pouvoir central sur une liste 419 . Dès l'instauration de l'Empire, le législateur reprend le contrôle des élections locales, jugées susceptibles de permettre l'enracinement d'opposants au régime : le suffrage censitaire est renforcé, et les premiers magistrats sont nommés par le pouvoir. La Restauration confirme cet encadrement, restreignant encore le droit de vote par des montants de cens très élevés 420 : les assemblées communales ne sont plus que des assemblées de notables, chargées de conseiller le maire, toujours nommé par le pouvoir et révocable à tout moment.

La seconde rupture est liée à l'avènement de la Monarchie de Juillet. Les libertés locales sont en effet revendiquées, pour des raisons différentes, à la fois par les Légitimistes, qui voient dans la communauté le lieu d'expression des libertés anciennes dont ils se sentent les héritiers, par les Libéraux, qui estiment que l'argent ne peut être le seul critère de distinction entre citoyen actif et passif et qui militent pour l'existence de listes de capacités, et par les Républicains, qui envisagent dès les années 1830 l'extension universelle du droit de suffrage. En 1831, même si la fièvre révolutionnaire des Trois Glorieuses est en partie retombée, la loi municipale constitue le second temps fort pour l'administration locale : les conseils municipaux sont élus par un corps électoral désigné au suffrage censitaire élargi et auquel s'ajoute une liste de capacitaires du fait de leur instruction. Le corps électoral augmente ainsi de 1336 %, et, dans certains communes, surtout les plus petites, le cens s'abaisse au point que la communauté des électeurs représente quasiment la totalité des hommes en âge de voter. Lors des élections municipales de 1834, ce sont ainsi près de 3 millions d'électeurs qui sont appelés à voter pour élire leurs conseils municipaux, alors que le corps électoral législatif atteint à peine 200 000 hommes 421 . Toutefois, le pouvoir central continue de se réserver le droit de nomination du maire, accentuant ainsi le poids des notabilités locales. Après les lois de 1835, l'évolution du régime confirme de plus en plus souvent la position des élites traditionnelles aux dépens de nouveaux venus, libéraux et surtout républicains, systématiquement écartés du pouvoir local 422 : la réaction préfère ainsi conforter les maires légitimistes plutôt que de se conformer au choix de la communauté. Le maire continue ainsi d'être choisi en dehors du conseil, la légitimité que lui donne l'élection n'étant pas systématiquement recherchée.

Notes
417.

Gueniffey, P., Le Nombre et la raison : la Révolution Française et les élections. Presses de l'Ehess, 1993; Id., "le moment du vote. Les systèmes électoraux de la période révolutionnaire", RFSP, 43/1, fév. 1993, pp. 6-28.

418.

Agulhon, M. et al. Les Maires en France du Consulat à nos jours. Pub. Sorbonne, 1986. ; Guionnet, C. "la politique au village : une révolution silencieuse", RHMC, 45-4, oct.-déc. 1998, pp. 775-788.

419.

Art. 7 et 14, loi du 17 fév. 1800 (an VIII) sur la division du territoire. Cobban, A. "local government during the French Revolution", in Aspects of the French Revolution, New York, George Braziller, 1968, pp. 112-130.

420.

Charte de 1814, article 40. Cité par J. Godechot, les Constitutions de la France, Gallimard, 1979.

421.

Rosanvallon. Le sacre du citoyen, op. cit., p. 270, donne le chiffre de 2 872 089 électeurs communaux inscrits, en reprenant ce chiffre du rapport commandé à A. Thiers, compte rendu au Roi sur les élections municipales de 1834, Imprimerie Royale, 1836. ; pour le corps électoral départemental, cf. Rosanvallon, op. cit., p. 262, à partir du Journal du peuple, 5 juillet 1840, corroboré par le discours de François Arago à la Chambre la même année.

422.

Tudesq, AJ. Les Grands notables en France (1840-1849), étude historique d'une psychologie sociale, Pub. Faculté de lettres de Paris, 1964, 2 tomes.George, J. Histoire des Maires, op. cit.