A. Âge et durée de mandat : quelques éléments pour un essai de périodisation

Pour prendre la mesure de l'âge moyen des maires, on peut soit à une date donnée prendre l'âge des maires en fonction et en faire la moyenne ; le risque, en ne prenant que quelques dates, est d'obtenir une moyenne trop liée à un événement particulier, à une nomination d'un individu extrêmement jeune qui dès lors transforme les statistiques. Pour remédier à ce problème, j'ai effectué des moyennes mobiles afin de lisser l'effet des dates choisies. D'autre part, le critère de l'âge à l'accession à la première magistrature m'est apparu comme pertinent : il permet de dresser aussi un portrait du maire choisi, par le pouvoir politique ou par les électeurs, plus que celui du maire en fonction.

Les maires des communes étudiées, en fonction entre 1859 et 1914, ont un âge moyen de 56,3 ans. La moyenne mobile des moyennes d'âge fait apparaître une évolution contrastée qui infirme en partie les conclusions obtenues à l'échelle nationale 457 : les maires de banlieue sont ainsi, ensemble, de plus en plus jeunes, et – de manière assez logique –, les phases de renouvellement des positions y sont lisibles. Le rajeunissement global, sans être important, se lit d'une génération à l'autre : la génération des maires en fonction à la fin de l'Empire est ainsi la plus âgée, à l'inverse de celles à la veille de la guerre ou des débuts de la période de la République.

graphique 20. Moyenne mobile (3 ans) des âges moyens des maires, 1858-1914 Sources complexes.

Enfin, le renouvellement des générations est scandé par les échéances électorales, tout en n'épousant pas totalement la chronologie administrative : la loi municipale de 1884 n'est pas un coup d'arrêt aux fonctions des maires de l'ordre moral ; la "révolution des mairies" semble avoir eu lieu avec un peu d'avance (le renouvellement des conseils en 1882 permet ainsi un net rajeunissement des élus) et surtout, le cycle d'un vieillissement en fonction des maires en place reprend, avec d'ailleurs plus de force : ainsi, l'élection des maires, au lieu de transformer la charge mayorale en une charge transitoire, semble affirmer le rôle de notable local de ce dernier, et l'installer dans sa charge jusqu'à l'arrivée d'une nouvelle génération, celle du tournant du siècle.

Cette analyse doit être affinée mais elle permet d'ores et déjà de saisir l'importance des coupures chronologiques proposées et de les justifier.

L'âge moyen d'entrée en fonction confirme cette idée d'un rajeunissement global des maires sur l'ensemble de la période et permet aussi d'affiner les regroupements chronologiques. Dans l'ensemble, les maires de la banlieue sud-ouest accèdent pour la première fois à cette fonction à un âge moyen de près de 54 ans 459 , ce qui confirme l'impression d'un premier magistrat âgé. La fonction serait-elle réservée à une élite notabilitaire à la fin de sa vie professionnelle ? Certains d'entre eux quittent de fait la vie professionnelle pour se consacrer aux affaires de leur commune : c'est le cas à Vanves d'Etienne Jarrousse, négociant en café 460 , et à Montrouge d'Edmond Champeau, entrepreneur en travaux publics 461 . Cet âge moyen élevé explique peut-être aussi la multitude de mentions de "propriétaire", voire de "rentier" pour les maires comme pour de nombreux conseillers municipaux 462 , obligeant à un recours à d'autres sources d'archives pour connaître la réalité de leur vie professionnelle. Toutefois, l'âge moyen au premier mandat connaît de profondes disparités, confirmant ainsi l'impression laissée par le graphique précédent.

Tableau 35. Âge moyen à l'entrée en fonction Tableau des données reconstruites en annexe.

La périodisation retenue rend compte de ces diversités, et oppose, encore plus nettement, deux moments de part et d'autre du tournant du siècle. Effet de génération, comme semble le suggérer le graphique 1, renouvellement des élites locales alors que les communes de banlieue parisienne connaissent des transformations économiques et sociales de grande importance ? Cette chronologie suggère aussi l'effet décalé dans le temps de la loi municipale de 1884 : l'irruption du suffrage universel n'a peut être pas brutalement transformé les formes de légitimité de l'accession au pouvoir mayoral.

Plus finement, deux périodes semblent pertinentes dans l'observation des changements que connaît ce groupe d'élites locales : d'une part, les débuts de la République, et d'autre part, ce "tournant du siècle" dont l'effervescence a été, dans d'autres domaines, déjà esquissée 464 . Impossible de lier pourtant l'irruption de nouvelles générations à un bouleversement politique d'ordre national : ce qui peut être mis en avant pour les débuts de la République, et qu'il faudra ensuite vérifier, c'est-à-dire un éventuel renouvellement des élites locales, n'est pas lié au tournant du siècle à un choc politique équivalent à la proclamation de la République ou, du fait de la proximité de Paris, aux événements de la Commune. Pourtant, il y a bien une nouvelle génération qui arrive au pouvoir , plus jeune certes (les benjamins de l'effectif, Jean-Marie Dupont, Auguste Crave, et Théodore Tissier, sont élus respectivement à 27 ans en 1900 à Vanves, à 32 ans en 1899 à Malakoff et à 33 ans toujours en 1899 à Bagneux), mais avec des caractères communs : plus diplômés, exerçant souvent des professions intellectuelles. Cette génération-là mérite un coup d'œil spécifique.

Les maires des communes de la banlieue sud-ouest de Paris sont attachés à leur fonction, qu'ils exercent pendant une durée moyenne de 7,68 ans, durée qui n'est pas toujours concomitante, surtout lorsque la fonction est liée à la nomination du pouvoir préfectoral. Cette durée suppose toutefois qu'ils exercent, dans l'ensemble, plus d'un mandat. De plus, la proportion d'individus nommés ou élus pour une période très courte, inférieure au mandat est assez importante : 40% d'entre deux sont maires pour une durée inférieure au mandat mayoral (5 ans), et près de 20% le sont pour une durée très courte d'à peine un an.

Tableau 36. Durées d'exercice des fonctions mayorales, 1860 à 1914
    effectif en %
inférieure à 1 mandat 1 à 2 ans 6 18,18%
  3 à 4 ans 7 21,20%
durée inférieure à 1 mandat 13 39,39%
1 mandat   3 9,09%
entre 1 et 2 mandats inclus   7 21,21%
entre 2 et 3 mandats inclus   8 24,24%
au-delà de 3 mandats   2 6,06%
Total   33 100,00%

La longévité en poste est très contrastée : à côté de ces près de 20 % de maires éphémères subsistent plus de 30% dépassant les deux mandats, élus ou nommés au moins trois fois. Cette longévité, comparable aux conclusions issues de l'enquête sur les maires en France, peut être nuancée en fonction des périodes, afin de voir s'il existe une corrélation entre maire notable et longévité à la tête de la commune et si la nouvelle génération élue au tournant du siècle, entre 1899 et 1903, n'a été qu'un feu de paille. Notons toutefois que les deux maires à la plus longue longévité, Edmond Champeaud à Montrouge et Théodore Tissier à Bagneux, sont tous deux des maires élus, l'un en 1888, l'autre en 1899.

Notes
457.

Id. Ibid. p. 38: "le maire est assez âgé et le devient de plus en plus au cours de la période ; l'âge moyen se situe en 1866 à 52,4 ans, en 1882 à 51,6, en 1897 à 52,9 et en 1913 à 53,2". Si l'on prend les mêmes dates dans notre cas, on obtient respectivement 61,6 ; 58 ; 56,75 et 51,5 ans, ce qui laisse supposer une évolution inverse à celle donnée par l'étude nationale. L'impossibilité de la comparaison est liée au faible effectif, et, afin de lisser l'effet du changement d'un seul individu, j'ai utilisé la moyenne mobile, sur 3 ans, de l'âge moyen des maires en fonction.

458.

Sources complexes.

459.

50,62 ans. Cf. tableau en annexe.

460.

Gay, E., Nos édiles, Annuaire municipal illustré. Annuaire aux diverses éditions, de1895 à l'entre-deux-guerres..

461.

Gay, E., Nos édiles, op. cité, 1895 ; AN, LH 475/19, E. Champeaud, faire part de décès.

462.

C'est le cas dans la plupart des procès-verbaux de conseils municipaux, lorsque les professions sont indiquées, voire dans les professions de foi et les bulletins de vote pour les élections municipales, en tout cas avant les années 1910. BN, recueil de tracts, élections municipales et cantonales, sans cotation.

463.

Tableau des données reconstruites en annexe.

464.

Prochasson, C., Paris 1900 : essai d'histoire culturelle. Calmann-Lévy, 1999 ; Topalov, C., (dir.) Laboratoires du nouveau siècle, op. cit. Aubrun, J. "Vers une professionnalisation des élus locaux ? Maires et compétences techniques dans la banlieue parisienne au tournant du siècle", Journée d'Etude du CRI de l'Ehess, mai 2001. Id. "Modernisation et technicité : peut-on parler d'une professionnalisation des édiles en Europe au tournant du siècle ?", Histoire & Sociétés. Revue européenne d'Histoire sociale. n° 12, oct. 2004.

465.

Le tableau est obtenu à partir des durées totales de mandat, que ces derniers soient consécutifs ou non, ramenés à l'année. Tableau en annexe.