Les communes de la banlieue parisienne restent profondément rurales et attachées aux valeurs de cette ruralité au moins jusqu'aux années 1880. Dans ses conditions, il eût été tentant d'y voir les mêmes recrutements possibles que dans d'autres communes rurales : poids de la noblesse ou des hobereaux locaux, souvent en lien avec l'ancien seigneur 466 . Or, il n'y a pas de présence nobiliaire dans cette partie de la banlieue parisienne : l'ancien château des Condé est devenu un lycée impérial depuis le début du XIXe siècle, et les familles de la noblesse ne sont que rarement présentes sur le territoire : l'annuaire Bijou signale la présence de châteaux, qui, dans une large mesure, appartiennent à la bourgeoisie parisienne. A défaut de nobles, on s'attend à trouver un enracinement local de notables, le plus souvent enrichi dans l'entreprise agricole (horticulteurs), d'extraction des pierres du sous-sol (plâtriers, glaisiers, briquetiers qui sont à l'origine du premier développement industriel de cette partie de la banlieue trouée de part en part pour élever les maisons parisiennes), voire des blanchisseurs dont on a vu l'importance pour une commune comme Vanves. Or, les locaux, nés dans la commune dont ils occupent ensuite la plus haute charge, ne représentent que 12 % de l'effectif. Comme leurs administrés, les élites de la banlieue ne sont pas des banlieusards, mais, à l'inverse de ces derniers, ils sont bien plus souvent des provinciaux.
Les édiles municipales de cette partie de la banlieue parisienne ne semblent pas avoir, à première vue, un grand enracinement local ; les Provinciaux sont toujours majoritaires jusqu'au tournant du siècle, remplacés ensuite par des élus nés à Paris.
D’où viennent ces élus nés en province ? La répartition des recrutements est-elle comparable à celle des habitants des communes étudiées ? La localisation des origines, sur l'ensemble de la période, confirme cette impression d'une relativisation à effectuer du poids de l'ancrage familial et patrimonial comme moteur de légitimité dans l'élection des maires. La proximité joue effectivement un rôle, assez visible à l'échelle du département de la Seine, où le quart nord-est du département n'est pas représenté ; elle l'est aussi en partie pour les communes de l'ancienne Seine-et-Oise, où l'on remarque la présence de l'Essonne – bien que le village de naissance d'Adolphe Delanoix, Méréville, soit situé à l'extrémité sud du département, quasiment dans le Loiret – et celle, plus étonnante, du Val d'Oise, avec deux communes proches de Pontoise, Lassy et Epiais. Par contre, cette proximité n'est guère flagrante pour le recrutement provincial (voir carte 9 ).
On retrouve toutefois la carte des départements de migrants (Massif Central, Bretagne, Nord de la France), à laquelle il faut adjoindre une migration des départements des marges du bassin parisien (Somme, Seine-Maritime, Eure-et-Loir, Loiret, Haute-Marne et Aisne). Le lieu de naissance ne semble pas être un critère de légitimation ; tout au plus peut-on observer que les Provinciaux, qui deviennent pour la première fois maire à un âge moyen d'un peu plus de 57 ans 468 , sont nettement plus âgés que les maires nés à Paris : le temps passé à la création d'un réseau de sociabilité et à la connaissance des concitoyens semble plus long pour les Provinciaux. Ici, l'observation des réseaux familiaux peut être un facteur d'explication de cet attrait des Parisiens pour les communes de la banlieue : nombreux sont ceux qui, en fait, s'installent en banlieue pour y rejoindre une partie de la famille déjà ancrée dans un territoire : c'est le cas de Pierre Simon, jardinier lors de son mariage, né à Vaugirard dans l'actuel 15e arrondissement, et qui rejoint Malakoff où sont déjà installés les oncles de son épouse ; le passage en banlieue s'accompagne aussi d'une ascension sociale, Pierre Simon devenant alors horticulteur.
Toutefois, le lieu de naissance, de part sa diversité, n'a comme pertinence que d'obliger à nuancer le postulat d'un maire de banlieue attaché à la terre, gros propriétaire terrien, exploitant en fermage ou en direct une partie des terres agricoles de la commune, voire du canton, et ce dans l'activité agricole la plus lucrative de cette région, l'horticulture. Ces maires ont existé, et sous le Second Empire certains sont réellement attachés non seulement par le patrimoine mais aussi par les réseaux familiaux à la fonction, au point de créer des dynasties mayorales. Si pendant la période révolutionnaire et surtout sous la Restauration on peut voir des maires grands propriétaires terriens, voire appartenant à la noblesse, ceux-ci ne sont plus présents par la suite. A Montrouge en 1790 et 1791, l'agent municipal, François Ory, est propriétaire d'une large partie du territoire hors les murs au lieu dit "la Grange Ory" en bordure de la route d'Orléans, ferme qui est encore en activité à la fin des années 1880 et dont l'exploitation est confiée à un régisseur 469 . A Bagneux entre 1815 et 1826, Auguste–Pierre de Varenne est le seul maire noble que connaisse la commune. Par la suite, on ne trouve pas de trace de ces très grands propriétaires terriens parmi les maires, et les listes électorales censitaires de la Monarchie de Juillet confirment le fait que le maire est très rarement le plus imposé de la commune 470 .
Le croisement de ces données (lieu de naissance, âge à l'entrée en fonction, durée moyenne du mandat) permet une autre constatation. Si le lieu de naissance ne semble pas être un critère déterminant sur l'ensemble de la période, les maires nés en province et ceux nés dans une autre commune de la Seine que celle où ils exercent leurs fonctions ne sont pas interchangeables : les premiers arrivent tardivement au pouvoir local et exercent leur mandat pendant une durée moyenne d'un peu plus de 6 ans et demi : les seconds, de loin les plus jeunes de l'effectif, deviennent maires à 42 ans et demi, et exercent leur mandat pendant 17 ans et demi en moyenne 471 . La longévité au pouvoir semble liée en partie au lieu de naissance, qu'il faut affiner avec le détail des réseaux expliquant une telle implantation, ainsi qu'à l'âge d'entrée en fonction : logiquement, les quadragénaires conservent ainsi leur poste plus d'une fois et demi plus longtemps que les quinquagénaires 472 ; les plus jeunes (moins de 40 ans lorsqu'ils arrivent au pouvoir) connaissent des situations plus contrastées : un tiers d'entre eux n'effectuent pas un mandat de 5 ans en entier, sans que la cause de leur départ soit liée au décès ; par contre, les deux tiers restant connaissent une grande longévité au pouvoir, effectuant 2 mandats ou plus. Le cas de Théodore Tissier, élu maire en 1899 à 33 ans, et qui le restera pendant 36 années consécutives, reste exceptionnel 473 .
Le paysage du pouvoir local banlieusard est ainsi marqué par l'attraction exercée pour de nouveaux venus, désireux de s'insérer dans la vie politique locale par le biais d'une fonction qui est "autant un honneur qu'une charge", et par une forme de résistance des anciennes formes de légitimité basées sur la notabilité ou sur l'appartenance aux anciens réseaux de notabilité. Cette transformation lente du recrutement mayoral en banlieue sud-ouest, l'arrivée de maires plus jeunes, natifs de communes voisines pour certains, éloignées pour d'autres, confirme largement le rôle nouveau de la légitimité républicaine qui joue de plus en plus depuis l'adoption du suffrage universel. Cette évolution lente contraste avec ce que de nombreux ouvrages d'histoire locale rappellent, en particulier dans certaines communes devenues en 1925 ou en 1935 des fiefs du Parti Communiste : les maires de la banlieue parisienne ne sont pas tous des hobereaux locaux, inféodés au pouvoir terrien et patrimonial des cultivateurs enrichis par le développement du marché parisien ou des grands propriétaires absents. Depuis le Second Empire, la fonction mayorale s'est transformée, le recrutement s'est diversifié, comme le montre l'observation des professions des édiles locales.
Guionnet, C. l'apprentissage de la démocratie, op. cit. Phélippeau, E. "Le baron de Mackau en politique", in Offerlé, M, dir., Profession politique, Belin. 1989.
En %. Voir en annexe le tableau avec les effectifs.
57,1 ans pour 21 individus. Voir tableau en annexe.
Certes, l'un de ces régisseurs deviendra maire…. Jean Philippe Dervieux n'est-il alors que le représentant de cette notabilité ?
AM Vanves, listes électorales, série K, 1831 à 1848. L'adjonction des plus imposés au conseil municipal en cas de vote d'une imposition nouvelle confirme cela jusque dans les premières années de la République.
Voir tableau en annexe.
La comparaison est valable entre ces deux catégories qui regroupent chacun plus d'un quart de l'effectif global. Voir tableau en annexe .
Ensemble, les individus de moins de 40 ans sont maires pour une durée moyenne de 13,33 années ; mais si l'on exclu le cas de Théodore Tissier, arrivé au pouvoir à 33 ans et qui le reste pendant 36 ans, la durée moyenne tombe à 2 ans. Voir en annexe le tableau, identique à celui de la note 472.